Pourquoi la lecture est-elle une activité magique pour nos enfants ? Comment leur donner le goût de lire ? Dans ce 8ème épisode du podcast Jambon Coquilles, nous acceuillons Eve Herrmann, auteure spécialiste de la pédagogie Montessori et maman de deux filles (Liv, 13 ans, lectrice naturelle et Emy, 11 ans, lectrice sur le tard). Dans son dernier livre « Mon enfant aime lire » elle partage ses nombreuses idées testées en famille et notamment le plaisir de la lecture à voix haute !
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Anne-Laure Troublé : Bonjour, Ève.
Ève Herrmann : Bonjour, je suis ravie d'être là aujourd'hui.
A.-L. T. : Alors tu parles, dans ton livre, des bénéfices à la fois éducatifs et cognitifs de la lecture. Peux-tu nous en dire un peu plus ?
E. H. : Oui. Alors on constate généralement que les enfants qui lisent ont de meilleurs résultats scolaires. Je parle dans mon livre, d'ailleurs, d'une étude qui a été faite par une chercheuse de l'université du Nevada, et il ressortait de son étude que les résultats scolaires des enfants – et quel que soit le niveau d'étude des parents –, étaient vraiment améliorés dès qu’on mettait à leur disposition un minimum de livres. Et elle parle de 20 livres. Donc 20 livres, c'est vraiment pas beaucoup. Et moi, ça m'a fait vraiment… J'ai été vraiment étonnée de lire ça. Et j'ai trouvé ça très impressionnant car c'est très facile aujourd'hui d'avoir accès à des livres gratuitement, puisque l'abonnement de bibliothèque est gratuit pour les enfants. Et puis il y a aussi des bouquineries, où on peut trouver des livres à tout petit prix. Et, pour ma part, je trouve aussi que les anciens livres ne sont pas forcément datés ou dépassés. Au contraire, on y trouve même un vocabulaire plus riche. Donc aller vers les anciens livres, ce n'est pas un problème pour trouver des livres moins chers. Et puis la lecture, aussi, n'est pas une activité passive, donc je pense que c'est pour ça qu'elle a des effets éducatifs et cognitifs, parce qu‘on ne reçoit pas seulement des informations, pendant qu'on lit. Le cerveau est très actif et il enregistre énormément de choses. Il faut être capable de comprendre les non-dits, le style de l'auteur. Il faut être capable de créer des images mentales en même temps qu'on lit. Tout ça, ça devient automatique avec la pratique. Mais pour un enfant, au départ, ce n'est pas si simple.
A.-L. T. : C'est comme une gymnastique de l'esprit, qui fait travailler notre cerveau. Mais c'est aussi un apport de connaissances ?
E. H. : Oui, exactement, tout à fait. Un enfant qui lit beaucoup va acquérir un vocabulaire beaucoup plus large par le biais de toutes ses lectures, un vocabulaire plus large que celui qui est disponible directement dans son environnement. De par les conversations qu'il a avec ses parents ou ses amis, ou même en classe avec ses professeurs, tout ça, ça reste toujours un peu dans le même domaine.
A.-L. T. : Registre, oui.
E. H. : Voilà. Le même registre. On utilise toujours un petit peu les mêmes mots. Donc avec les lectures, que ce soit les lectures scolaires ou les lectures pour le plaisir, l'enfant va acquérir de nouveaux mots. Et ça, ça arrive aussi quand on rencontre des nouvelles personnes qu'on ne connaît pas et qui ont une manière différente de parler. Un ami était chez nous et a utilisé le mot… Un mot, je ne sais plus… « Par inadvertance », je crois que c'était. Et nous, je ne sais pas, ce n'est pas un mot qu'on utilise dans notre registre familial, par exemple. Et les filles ont dit : « Quoi ? Qu'est-ce que c'est ? Qu'est-ce que ça veut dire ? »
Et donc il a expliqué ce que ça voulait dire. Et ensuite, elles se sont amusées à l'utiliser dans des phrases. Et j'ai trouvé ça rigolo, en fait. Elles se sont approprié ce mot. Et puis les livres, aussi, apportent des nouvelles tournures de phrases, une manière d'écrire, qu'on n'utilise pas à l'oral. De cette manière, l'enfant va aussi développer sa capacité à écrire, à produire des écrits de meilleure qualité.
A.-L. T. : La grammaire qu'on nous apprend de manière très technique, elle rentre aussi par la lecture, c'est-à-dire que les tournures de phrases, elles viennent naturellement, ensuite. La façon de bien parler…
E. H. : D'ailleurs, c'est beaucoup plus facile d'apprendre la grammaire de cette manière-là que de l'apprendre de manière un peu sèche, en fait..
A.-L. T. : Avec le Bescherelle !
E. H. : Déconnectée de quelque chose ! Après, je ne sais pas si c'est vraiment lié, mais on a l'impression aussi que les enfants qui lisent plus font moins de fautes d'orthographe. Parce qu’à force de voir les mots, de les enregistrer, on acquiert aussi…
A.-L. T. : Inconsciemment. Oui, ça devient automatique. Mais du coup, quand on sait tout cela, comment, quand on est parent, ne pas être déçu quand son enfant n'aime pas lire ?
E. H. : Oui ! C'est sûr que la lecture, elle a cette idée d'activité valable, qu'on va placer sur un piédestal par rapport à d'autres. Et on peut être déçu si nos enfants n'aiment pas lire. Mais je pense qu'il faut réussir à prendre du recul par rapport au succès de nos enfants, et ne pas avoir trop d'attentes, parce que ça, ça peut leur peser sur les épaules. S’ils sentent nos attentes, et surtout s'ils sentent que nous sommes déçus par le fait qu'ils n'y répondent pas. Donc j'ai en tête les Droits du lecteur, de Daniel Pennac, dont je parle dans mon livre. Étonnamment, je dis ça alors que j'écris un livre pour cultiver le goût de la lecture. Mais dans les Droits du lecteur, de Daniel Pennac, pour ceux qui ne connaissent pas, le premier droit, c'est le droit de ne pas lire. On ne peut vraiment pas forcer quelqu'un à aimer lire. C'est impossible. Ou quoi que ce soit d'autre, d'ailleurs, on ne peut pas forcer quelqu'un à aimer.
A.-L. T. : Ça, c'est important de le dire. C'est important de dire qu’on ne peut rien forcer. On peut aider, mais on ne peut pas forcer. Sans que ce soit un échec, au final.
E. H. : Oui, ce n'est pas parce que la lecture a ces aspects positifs par rapport à une scolarité qu'un enfant ne va pas réussir à l'école s'il n'aime pas lire. Et voilà. Et je pense que de notre côté, ce qu'on peut faire, c'est vraiment se focaliser sur la création d'une ambiance familiale positive autour des livres : partager les livres, les discussions.
A.-L. T. : Oui, on va en parler, justement.
E. H. : Oui, on va en parler. Et surtout, ne pas mettre la pression.
A.-L. T. : Est-ce qu'on explique pourquoi certains enfants adorent lire et d'autres pas du tout ? Est-ce que ça s'explique de manière cognitive, ou pas du tout ?
E. H. : Non, ça ne se décide pas. Je pense que c'est une affaire de goût, de tempérament. Mais bon, après, le goût, ça se développe, aussi, ça s'entraîne. Si on prend l'exemple des légumes, par exemple. Un enfant auquel on ne donne jamais de légumes quand il est petit, ne va pas développer son goût pour les légumes, il ne va pas apprendre à manger, en fait. Je pense que c'est un peu pareil pour la lecture. D'ailleurs, on utilise beaucoup du langage lié à la nourriture quand on parle de lecture, parce qu'on « dévore » des livres, par exemple.
A.-L. T. : Oui, c'est vrai !
E. H. : Mais je pense qu'un enfant qui est exposé aux livres depuis tout petit, de manière régulière et toujours positive, aura plus de chances de développer plus tard le goût de la lecture. Mais bon, évidemment, il n'y a pas de recette.
A.-L. T. : On peut être passionné de livres, et que nos enfants ne le soient pas.
E. H. : Oui. D'ailleurs, dans mon livre, je parle… C'est une amie à qui j'ai posé quelques questions, qui, elle, est passionnée de lecture. Mais son frère, non. Et elle me racontait que chez elle, effectivement, c'était vraiment… Ses parents lisaient tout le temps, ne sortaient jamais sans un livre, parlaient de lecture, etc. Elle a chopé ça, mais pas son frère. Pas du tout. Il n'a jamais aimé lire.
A.-L. T. : Moi, dans le cadre de Bubble, je reçois beaucoup de livres à la maison, depuis toujours, depuis que mes enfants sont tout petits, comme journaliste. Et donc il y a plein de livres à la maison. Et ma fille est une grande, grande lectrice, au point de ne pas aller en récréation et d'aller toujours à la bibliothèque, lire sans arrêt, alors que mon fils n'a aucun intérêt pour la lecture. Donc en effet, même si tous les éléments sont là, parfois, ça ne fonctionne pas.
E. H. : Non, ce n'est pas une garantie. Il n'y a pas de recette. Il faut accepter que ce soit comme ça. Il ne faut pas le voir comme un échec.
A.-L. T. : Alors toi, tu es passionnée de lecture, on l'a compris. Tu as deux filles, Liv, 13 ans, et Emy, 11 ans. Est-ce que tu as réussi à leur transmettre cette passion ?
E. H. : Je pense, oui. Mais c'est vrai que ça n'a pas été pareil pour toutes les deux. Moi, je lis beaucoup, et elles m'ont toujours vue lire. Et de même que je leur ai toujours lu des livres, depuis le début de leur vie. Mais je n'avais jamais vraiment pensé à cette transmission du goût de lire avant d'avoir eu envie d'écrire ce livre Mon enfant aime lire. Et c'est Emy qui m'a amenée à me questionner sur la transmission du goût de lire, du coup. Pour Liv, pour la première, ça s'est passé vraiment de manière fluide, sans que je fasse quoi que ce soit en particulier. Elle a appris à lire très tôt. Elle s'est mise à lire toute seule toutes sortes de livres. Et puis elle n'a pas eu peur de se lancer dans des romans, même assez gros. Aujourd'hui, elle lit un peu moins que quand elle était plus petite. Mais je sais que la lecture, elle a fait sa place dans son cœur, et voilà. Donc elle y est, et je trouve ça aussi normal d'avoir des moments de pause pendant lesquels on lit moins, et d'autres où on se remet à lire avec plus d'avidité. Donc voilà. Je ne me suis jamais questionnée, en fait, avec Liv. Et avec Emy, ça a été différent. Donc elle, elle a commencé à apprendre à lire tôt aussi. Elle était même très motivée. Et malheureusement, c'est le moment où elle a fait son entrée en moyenne section de maternelle, parce qu'avant elle était à la maison ; et là, ça a freiné complètement son entrain. Je pense qu'elle avait beaucoup, déjà, à découvrir de nouveau à l'école. C'était un nouvel environnement, elle devait s'adapter à tout ça, et elle a mis de côté, en tout cas, cet apprentissage de la lecture que nous avions commencé ensemble. Et il n'était plus question de lire. L'année suivante, elle n’est pas retournée à l'école. C'est là qu'on a commencé officiellement l'instruction en famille. Elle avait 5 ans. Et elle a continué à progresser en lecture, mais de manière très, très lente, elle n'était plus aussi motivée qu'avant. Et ce n'est que vers, je dirais, 7, 8 ans peut-être, qu'elle s'est mise à lire des albums seule, mais sans grand intérêt. Elle disait qu'elle ne voulait pas lire, qu'elle n'aimait pas lire ! Donc c'était différent, avec Emy !
A.-L. T. : Tu as mis des choses en place, pour la motiver ?
E. H. : Au départ, j'ai été étonnée qu'elle s'arrête, parce qu'elle s'était lancée vraiment de manière très, très motivée dans le déchiffrage, l'apprentissage de la lecture. Elle était volontaire, et j'avoue que j'ai été déçue quand j'ai vu qu'elle s'arrêtait en si bon chemin, parce que son élan, c'était le sien, son élan d'aller vers la lecture. Ça ne venait pas de moi, ça venait vraiment de l'intérieur, on voyait qu'elle avait vraiment envie. Donc voilà, j'ai essayé de ne pas prendre ça comme un échec ! Et je savais, en fait, au fond de moi qu’Emy saurait lire un jour. Qu'elle lise maintenant, à 6 ans, ou qu'elle lise plus tard, à 11 ans, je savais qu'elle saurait lire, donc il fallait juste prendre sur soi et être patient ! Et puis, ce que j'ai fait, en fait, c'est que j'ai essayé de répondre présente à chaque fois qu'elle montrait une envie. De lire avec moi, par exemple. Donc j'essayais de lire une petite phrase, et puis elle, elle en lisait une autre. On faisait comme ça parce qu'elle n'arrivait pas à lire, se concentrer longtemps pour lire, par exemple. J'ai aussi mis en place des petits billets secrets que je lui écrivais, rien qu'à elle, et puis je voyais si elle arrivait à les déchiffrer.
A.-L. T. : Par curiosité, en fait ?
E. H. : Oui, voilà, pour susciter un petit peu de curiosité. Et puis aussi pour montrer que le langage, on en a besoin pour communiquer, et écrire, aussi. Donc voilà, c'est petit à petit, tranquillement, en la laissant faire, elle s'est mise à lire. Mais ça n'a pas été… Ç‘a été long, quand même. Je pense que ça a pris bien trois, quatre ans.
A.-L. T. : Ça, c'est donc l'apprentissage de la lecture. Et le goût de lire, le goût de prendre des livres, ça lui est venu aussi facilement qu'à Liv. ?
E. H. : Alors non, du coup… Alors, oui, prendre des livres, oui. Pour les feuilleter. Mais pas forcément pour lire. Donc ça, oui. Effectivement, les livres ont toujours fait partie de l'ambiance familiale. Il y a toujours des livres. On a va toujours à la bibliothèque régulièrement, et elle a toujours été contente d'emprunter des livres. Par contre, elle disait : « Je ne veux pas lire ! » Effectivement, moi, de mon côté, je n'ai jamais lâché la lecture à voix haute. On va en reparler, de la lecture à voix haute. Je lui ai toujours lu à voix haute, tout le temps. Je lis encore maintenant qu'elle sait lire. Donc ça, pour moi, c'était… Voilà… Quelque chose de très important, qu'elle continue d'apprécier la lecture, même si elle n'était pas capable, ou qu'elle avait très envie de lire par elle-même. Et puis, peut-être vers 8, 9 ans, je pense, en discutant avec elle, j'ai compris ce qui bloquait. Elle avait besoin d'avoir des textes écrits encore très gros, avec des chapitres très courts pour avoir la sensation d'arriver à la fin de quelque chose assez vite, donc à la fin du chapitre, et aussi avec des images. Mais les livres qui étaient proposés à la bibliothèque dans la catégorie « Premières lectures » étaient trop bébé pour elle, en fait. Donc elle était un peu entre les deux. Donc, il a fallu qu'on trouve. J'ai cherché avec elle des livres qui pouvaient répondre à son besoin, donc des textes très gros, des chapitres courts et quelques illustrations. Et notamment, je suis tombée sur L'Arbre à souhaits, de Katherine Applegate, qui a été vraiment le livre qui lui a vraiment beaucoup plu. Elle a adoré et elle a dit : « Oui, voilà, c’est des livres comme ça, que je veux lire. »
A.-L. T. : C'est le roman déclic.
E. H. : Le roman déclic, effectivement. Et là, elle l'a lu très vite. Elle l'a lu facilement. Elle a lu toute seule. Elle m’a dit « Voilà, j'adore quand c'est comme ça. Quand je peux arriver au bout du chapitre assez vite » pour pouvoir poser son livre. Elle ne peut pas poser son livre si elle est au milieu d'un chapitre ! Ce n'est pas possible. Donc il lui fallait des chapitres courts. Mais il fallait le comprendre.
A.-L. T. : Tu as cherché.
E. H. : Oui, on a cherché, on a discuté. Et puis ce que j'ai fait, aussi, c'est qu’à la bibliothèque, je sélectionnais beaucoup de livres, et je lui lisais le résumé. Enfin, je lui expliquais le résumé, plutôt, avec mes mots. Parce que des fois, juste en lisant le résumé, elle n’arrivait pas à imaginer si elle pouvait aimer ou pas. Et puis des fois, on ramenait peut-être quatre, cinq romans qui pouvaient lui plaire, et je lui lisais le début. Et ensuite, elle voyait si elle avait envie de le prendre pour le continuer pour elle-même. Et comme ça, ça lui a donné envie de lire plusieurs livres toute seule. Donc maintenant, elle n'est pas non plus lectrice assidue, à part de mangas. En ce moment, c’est mangas à fond ! Mais en fait, j'ai regardé un peu ce qu'elle lit. Il y a énormément de texte. Énormément. Et il y a aussi beaucoup de mots assez complexes, parce que de temps en temps, elle vient me demander des significations de mots.
A.-L. T. : Il y a beaucoup d'onomatopées, je trouve.
E. H. : Oui, il y a des onomatopées. Mais finalement, il y a quand même aussi une complexité de lecture, dans le manga, parce qu'il faut comprendre aussi les dessins. Moi, par exemple, j'ai vraiment du mal à comprendre ce qui se passe dans les dessins, souvent.
A.-L. T. : Oui, ça demande une gymnastique de l'esprit.
E. H. : Oui, je trouve, quand même. Je pense qu'avant tout, la première chose à faire, c'est de penser à l'ambiance familiale autour des livres, qui doit être positive, donc ne jamais forcer, on l'a dit. Et tout ce qu'on va pouvoir faire va planter ces petites graines, mine de rien, sans en faire trop, sans insister. On peut faire que les livres occupent une place d'honneur dans notre maison Donc les mettre en avant, faire une belle bibliothèque, installer des coins de lecture cosy dans le salon, ou dans la chambre des enfants. Une amie, après avoir lu mon livre, m'a fait un retour par rapport à ça. Elle a créé un coin de lecture pour ses enfants avec des gros poufs près de la baie vitrée. Et ils se sont installés, ils ont envahi l'espace tout de suite, ils ont adoré cet espace pour lire. Je pense qu'il faut vraiment associer la lecture avec le plaisir, à la maison. Et ça, c'est hyper important. Et puis, on disait tout à l'heure « Il y a des moments où on lit plus et des moments où on lit moins ». Donc il ne faut pas s'arrêter à un moment où l'enfant ne lit pas et puis le juger par rapport à ça, lui coller une étiquette, en fait. Si aujourd'hui un enfant n'aime pas lire, ça ne présage rien pour la suite. Les choses bougent très vite. Et on a parlé d'Emy qui, à un moment donné, vraiment, disait « Je n'aime pas lire, je n'aime pas écrire », et maintenant, ça a changé. En quelques mois, ça a changé. Donc je pense qu'il faut faire attention à ne pas coller des étiquettes à nos enfants, pas les enfermer dans un schéma.
A.-L. T. : Et tu parlais de Liv, aussi, qui avait beaucoup lu, et qui maintenant, à 13 ans, lisait moins.
E. H. : Oui. Je pense que l'adolescence, c'est un moment où elle est plutôt connectée avec ses amis. Elle a envie plutôt de discuter avec eux. Après, ils échangent aussi des idées de lecture, mais je sens que c'est un peu différent, effectivement.
A.-L. T. : Dans ton livre Mon enfant aime lire, on peut découvrir un long plaidoyer pour la lecture à voix haute. Je sais que c'est un sujet qui te tient à cœur. Est-ce que c'est un moyen de convertir ses enfants à la lecture ?
E. H. : Oui, alors c'est vraiment un sujet qui me tient à cœur, et c'est comme ça, en fait, que j'en suis arrivée à l'idée d'écrire ce livre. Au départ, comme tout le monde, je lisais des albums jeunesse. Et je n'avais pas vraiment conscience de l'importance de la lecture à voix haute. Mais après, en me mettant à lire des grands romans pour mes filles, j'ai réalisé que j'avais grandi moi-même portée par les lectures à voix haute de mon père, et des sentiments sont remontés à la surface, vraiment. Et c'était quelque chose de fort. Et j'ai réalisé, en fait, mon père n'était pas un papa spécialement câlin. Ce n'était pas son truc. Il n'était pas très tactile, pas non plus très bavard, mais il était très présent. Il nous emmenait en randonnée, mes sœurs et moi, faire du vélo, nous raconter beaucoup d'histoires sur la faune et la flore. Et il était toujours très enthousiaste à l'idée de nous apporter des lectures, de partager ses lectures. Ça, c'est quelque chose qui était vraiment un point très fort, avec mon père, que ma mère ne faisait pas. Et il était toujours d'accord pour nous lire des livres à voix haute. Et voilà. J'ai trois sœurs et il nous a lu, à toutes les trois, des livres à voix haute jusqu'à ce que nous quittions la maison.
A.-L. T. : Ah oui ! À 18 ans ?
E. H. : Moi, je suis partie à 18 ans, en effet. Et donc, évidemment, ce n’était plus des albums qu'il nous lisait, mais des gros romans. Et souvent, ce que nous ne voulions pas lire toutes seules pour l'école. Je pense d'ailleurs… Je pense à Madame Bovary, qu’il nous a lu. Et moi, à 15, 16 ans – peut-être c’était 16 ans, je ne sais plus à quel âge on doit lire ça –, mais je n'avais pas du tout envie de le lire. C'était d'un ennui mortel. Mais le fait que mon père me le lise, qu’on puisse en discuter, qu'on partage ça ensemble, ça change tout. Mais je me suis sentie soutenue par lui, et c'était sa façon à lui de m'aider sans me juger ou me réprimander parce que je ne voulais pas lire ce livre que je devais lire pour l'école, par exemple. Voilà. Donc ça, vraiment, c'est quelque chose qui est remonté quand j'ai commencé à lire avec mes filles. Et voilà, j'ai remarqué que la lecture à voix haute était vraiment très imprégnée dans notre famille et elle l'était dès le début de la naissance de mes filles, en fait.
A.-L. T. : Oui, parce que souvent, la plupart des parents lisent les livres le soir à leurs enfants à voix haute. Et souvent, on s'arrête vers 7, 8 ans, quand l'enfant commence à savoir lire.
E. H. : Oui. Exactement. Et c'est vrai qu'on fait naturellement la lecture à voix haute pour des enfants qui ne savent pas lire. Et dès que l'enfant sait lire, on se dit « Finalement, ça n'est pas accompagner son autonomie que de continuer à lui lire des livres ». Mais en fait, je pense que ça ne marche pas. Ça marche pour un enfant qui essaye de s'habiller, de lacer ses chaussures ou faire des choses comme ça. On ne va pas faire à sa place parce qu'autrement, effectivement, il ne va pas apprendre. Mais ça ne marche pas pour la lecture à voix haute. Parce que se faire lire un livre, ça n'a rien de passif. On ne remplace pas, en fait, quelque chose. Pour moi, on accompagne, en fait. Un enfant qui écoute une lecture à voix haute travaille aussi. Alors pas comme s'il lisait lui-même puisqu'il ne fait pas le travail de déchiffrage. Mais il doit aussi se concentrer pour comprendre le texte et les subtilités. Il doit aussi faire le travail mental d'imaginer, de visualiser. Il ressent aussi les émotions, de la même manière que s'il lisait lui-même. Donc pour moi, la lecture à voix haute, elle accompagne l'enfant qui est en train d'apprendre à lire, en lui proposant des choses qu'il n'est pas encore capable de lire tout seul. On lui donne ainsi accès à un vocabulaire plus riche que ce qu'il est capable de lire tout seul, des tournures de phrases plus complexes, etc. Et ainsi, il va progresser. Et finalement, la lecture à voix haute améliore la lecture. Donc je pense que c'est très important de ne pas s'arrêter.
A.-L. T. : Et puis c’est un moment de partage incroyable.
E. H. : Exactement. Ça, c'est quelque chose de très, très important que je vois dans la lecture à voix haute, c'est la connexion. C'est vraiment ce qui est remonté en moi très fort quand j'ai repensé à mon enfance. Quand on lit un livre pour notre enfant, on est vraiment sur la même longueur d'onde. On est vraiment connectés, et c'est un cadeau, finalement, qu'on lui fait. Donc oui, ça crée vraiment une connexion importante. Ça, c'est notable.
A.-L. T. : Tu développes tout un chapitre, dans ton livre, sur les « rendez-vous de lecture ». Peux-tu nous en dire un peu plus ?
E. H. : Oui, alors effectivement, les rendez-vous de lecture, c'est quelque chose que je conseille aux parents, avec l'idée de développer cette ambiance familiale positive autour du livre. Évidemment, il ne faut pas se forcer. Ce sont vraiment juste des idées comme ça. Je pense aux clubs de lecture, par exemple. Donc ça, on a créé ça avec Liv, quand elle avait 7 ans. Elle avait vraiment envie de partager un livre qu'elle venait de lire, c'était Ursin et Ursulin. Alors le nom de l'auteur, je ne pourrai pas le dire, parce que je crois que c'est tchèque, ou je ne sais plus !
A.-L. T. : Juste entre parenthèses. Ton livre regorge de références de lectures, et d'idées de lectures. Rien que pour ça, l'avoir avec soi, ça nous donne plein d'idées de livres à conseiller à ses enfants. Voilà, c’était la parenthèse. Donc tous les livres dont tu parles, tu les mentionnes dans ton livre.
E. H. : Oui, tout à fait. Oui. Et donc, voilà, elle voulait partager ce livre avec ses amis parce qu'elle l'avait trouvé très drôle. Et on a eu l'idée de créer un club de lecture. Et alors, vraiment, sans pression, tout simple. On a invité les amis à lire ce livre, donc en laissant peut-être un mois, ou deux, je ne sais plus, devant nous. Et en disant qu'on se retrouverait pour un goûter autour de ce livre. Et on a proposé aux participants d'amener chacun quelque chose qui était cuisiné en rapport avec le livre. Donc c'est amusant de chercher quelque chose qui serait dans le livre pour trouver une idée de recette…
A.-L. T. : Vous avez mangé quoi ?
E. H. : Nous, on avait fabriqué des petites brioches, justement du pays de l'auteur. Et ensuite, j'essaye de trouver une petite activité à faire autour du livre, autour du thème. Mais après, ce n'est pas obligatoire.
A.-L. T. : Tu as des exemples ?
E. H. : Par exemple, on avait fait pour Le BGG, donc Le Bon Gros Géant, de Roald Dahl… J'avais fait une activité pour que les enfants puissent fabriquer des rêves en pots. Donc avec… C'est facile, juste, j'avais mis des paillettes, des pots vides, du coton et du colorant alimentaire. Et puis chacun faisait son petit mélange en mettant de l'eau, du colorant, des paillettes, etc. En faisant des couches. Et puis ensuite, avec une étiquette, ils pouvaient écrire le nom de leur rêve dans le pot.
A.-L. T. : C’est joli !
E. H. : Par exemple. Et puis, je ne sais plus… Qu'est-ce qu'on avait fait d’autre ? Pour Fifi Brindacier, on avait fait une séance photo. Les enfants s'étaient déguisés en Fifi Brindacier, et puis on avait fait une séance photo où ils faisaient semblant de porter quelque chose de lourd et moi, j'avais… Après, ça, il faut être capable de le faire. J'avais intégré dans Photoshop un cheval, parce qu'elle porte son cheval, elle est très forte.
A.-L. T. : Ah oui !
E. H. : Et puis comme ça, les enfants avaient leur photo…
A.-L. T. : J’adore !
E. H. : Où ils étaient en train de porter le cheval. Mais après, on n'est pas obligé de faire des choses aussi complexes.
A.-L. T. : Non, mais c'est tellement créatif et c'est tellement drôle. C’est tellement… C’est chouette !
E. H. : Mais on trouve toujours des idées dans les livres. Et c'est ça qui est amusant, c’est, avec les enfants, de chercher dans le livre des idées de choses à manger, par exemple, et puis de choses à discuter, ou d'activités à faire. Voilà, c'est rigolo. Et puis on peut en faire un ou deux dans l'année. On n'est pas obligé de se mettre le stress pour en faire beaucoup. Et puis, quelque chose qu'on aime bien faire, aussi, c'est le goûter… Alors, on dit « poésie », nos « goûters poésie », parce que du coup, autrement, on a tendance à ne pas trop lire de poésie. Donc, on a dit « On va faire un goûter poésie ». Donc on fait une belle table. Il y a toujours l'idée de nourriture, avec les livres !
A.-L. T. : Oui, j'ai l'impression !
E. H. : Ça marche très bien ensemble ! On fait une belle table, mais ça, on le fait entre nous, on se fait un beau goûter et on amène tous les livres de poésie à table. Et puis chacun lit à haute voix ce qu'il a envie de lire. Et puis, on aime bien rencontrer des auteurs aussi, dès que c'est possible.
A.-L. T. : Ah oui, sur des salons littéraires, ou…
E. H. : Oui. Les bibliothèques proposent souvent des rencontres. Et les librairies, aussi. Il faut se connecter avec les librairies.
A.-L. T. : Mais qu'est-ce qui se passe, lors de ces rencontres ? C'est des autographes, c’est des signatures, ou il y a des discussions ?
E. H. : Oui, c'est souvent des signatures. Mais en fait, c'est intéressant pour les enfants de voir en vrai un auteur, en fait. Je me souviens, par exemple, les filles aiment beaucoup Le Journal de Gurty. Je ne sais pas si tu connais. C'est assez comique. C’est un chien qui écrit son journal, donc c'est très drôle. Et l'auteur était en signature à la librairie en face de chez nous. Donc évidemment, on y est allées. Et elles ont pu discuter de Gurty avec l'auteur, qui leur a raconté que c'était vraiment… Gurty avait vraiment existé, que c'était sa chienne.
A.-L. T. : Ah ! Excellent !
E. H. : Que aujourd'hui, elle était morte mais il continue de la faire vivre dans ses livres. Et je trouve que pour les enfants, rencontrer un auteur, c'est chouette, parce qu'on voit que c'est vraiment… Il y a une personne derrière le livre qu'on aime.
A.-L. T. : Oui, c'est ce que… En fait, tu sors des mots et du papier, tu rends le livre gourmand, tu rends le livre joyeux, tu rends le livre rencontre.
E. H. : Oui. Et puis, je trouve qu'on en a plus envie encore de lire le livre ensuite, quand on connaît un peu la personne, en fait. Je trouve ça…C’est marrant.
A.-L. T. : Oui, ça, c'est intéressant, ce que tu dis, parce que c'est pas forcément ce qu'on fait, mais la place à l'auteur est importante.
E. H. : Mais moi, j'ai remarqué que chez nous, on parle souvent des auteurs. J'essaye de trouver des informations, quand on lit un livre, sur l'auteur, que je peux donner à mes filles, leur dire « Ah oui, cet auteur a été là, a voyagé, a fait ci, a eu envie d'écrire ce livre pour telle raison », par exemple. Et du coup, ça rend le livre un peu plus intéressant, parfois. Et aussi, la personne plus réelle, du coup. Ça me fait penser, une fois, quand on lisait un livre de Chris Riddell, c’est… Alors le nom du livre, je ne sais plus. C'est Apolline. C'est une série, Apolline. C'est une série de Chris Riddell, je ne sais plus exactement. Mais ça, c'est aussi dans mon livre. Apolline et le renard masqué, je crois que c'était. Et Liv a trouvé des ressemblances entre Apolline et Fifi Brindacier. Et aussi jusque dans les dessins, parce que les dessins étaient monochromes, juste avec du rouge, dans le livre, et c'est pareil dans Fifi Brindacier, c’est rouge et jaune, je crois. Enfin, il y avait vraiment des ressemblances qu'elle trouvait. Donc on a écrit à l'auteur. Pour lui poser cette question. Il nous a répondu, du coup. Il a expliqué que oui, en effet, quand il avait créé le personnage d'Apolline, il venait d'illustrer Fifi Brindacier. Et ensuite, ce personnage est né. Mais voilà, il l'a laissé de côté pendant un moment. Il a créé ce personnage, qu'il a laissé pendant un moment. Et il est ressorti plus tard.
A.-L. T. : Quelle histoire !
E. H. : C'était chouette, du coup, elle était contente de voir que son intuition n'était pas mauvaise.
A.-L. T. : Tout à fait ! J'imagine le plaisir.
E. H. : Voilà. C'est simple, c’est organiser le plus possible des rencontres positives avec les livres.
A.-L. T. : Des petits événements autour du livre. Oui, c'est chouette, c'est vraiment chouette de t’entendre. Et moi, je sais que j'ai une de tes astuces que j'adore, c'est de toujours avoir dans son sac un livre à leur lire, pour les moments d'attente dans les transports, chez le médecin, au café, où là, on a le réflexe de les mettre devant leurs écrans, alors que d'avoir un livre dans son sac. Je trouve que cette astuce, elle est assez géniale.
E. H. : Oui, et même une lecture à voix haute. Parce que même si on ne lit pas très fort, on se colle tous ensemble, on ne lit pas très fort, on peut même continuer notre lecture à voix haute. En attendant, chez le médecin. Nous, on le fait un peu partout !
A.-L. T. : Au jardin, aussi, au parc.
E. H. : Au parc, beaucoup. C'est vraiment chouette, au parc. Sinon, ça nous est arrivé dans le bus, mais c'est plus difficile, parce qu'on n'entend pas très bien.
A.-L. T. : Dans quels endroits les plus improbables tu leur as fait la lecture ?
E. H. : Je ne sais pas s'il y a vraiment des endroits improbables. Non, en voyage, effectivement, à l'aéroport ou dans l'avion.
A.-L. T. : C'est marrant parce que ça me fait penser que moi, je suis toujours à l'heure et je déteste les gens en retard, jusqu'à ce que j'aie dans mon sac un bon livre. Et du coup, quand j'attends quelqu'un, je prends mon livre et alors là, je n'ai plus du tout de colère, j'ai plus du tout d'attente. Même j'espère qu'il arrivera un peu en retard pour que je puisse lire !
E. H. : Ça déstresse, c'est clair. Mais c'est aussi une bonne technique, finalement, avec un enfant qui pleure, qui est fatigué, qui est stressé. Hop, on sort un livre, et puis ça apaise.
A.-L. T. : On le concentre sur autre chose. C’est ça. On détourne son attention avec quelque chose d’apaisant. Alors c'est passionnant, je n'ai pas envie d'arrêter, mais ça fait déjà presque 40 minutes qu’on échange ! Donc j'ai toujours deux dernières questions à mes interviews. C’est qu’est-ce qu'évoque pour toi le jambon-coquillettes ? Et quelle est ta recette S.O.S. quand tu n'as pas le temps de cuisiner ?
E. H. : Alors jambon-coquillettes… Moi, par rapport à mon enfance, ça n'éveille rien en moi, parce que ma mère ne cuisinait pas de jambon, ni de coquillettes. On était quasiment végétariens, donc… Et en fait, non. Enfin, pas pour moi. Mais c'est vrai qu’aujourd'hui, avec mes filles, ça représente un repas entre filles, en fait. Un repas qui leur fait très plaisir. Elles ont découvert le gratin de pâtes chez leur grand-mère – donc coquillettes, jambon, fromage, aussi, chez leur grand mère, donc pas ma mère ! Et elles m'ont demandé ensuite de le cuisiner. Donc je fais vraiment tout simple : du jambon, des coquillettes, du fromage râpé. Mais, au fond, il faut mettre de la tomate. Apparemment, c'est très important. De la tomate coupée en morceaux. Voilà. Ça, c'est la recette de la grand-mère. Ça, elles adorent. Donc c'est quelque chose qui représente un peu notre repas entre filles parce que mon mari ne mangeant pas de produits laitiers, on ne fait pas ça quand il est là. Ma recette S.O.S. préférée avec mes filles, c'est les pâtes aux brocolis. C'est hyper simple. On met les brocolis et les pâtes en même temps dans l'eau bouillante.
A.-L. T. : D'accord !
E. H. : Donc, 10 minutes de cuisson. Enfin, le temps de cuire les pâtes. Et ensuite on assaisonne d'un filet d'huile d'olive et d'un peu de fleur de sel, et c'est fait !
A.-L. T. : Hyper malin. Plutôt que de s'embêter à cuire d’un côté le… Elles adorent, en plus !
E. H. : Elles adorent, en plus. Ça n’use qu’une seule casserole.
A.-L. T. : Génial. Merci, Ève. Vraiment, c'était passionnant, très créatif, ça donne plein d'idées. Je suis ravie. Je suis ravie que tu aies accepté cette interview, et puis bonne continuation avec Liv, Emy et tous vos livres à la maison. Et à bientôt, j'espère.
E. H. : Merci à toi, c’était un plaisir.
Jambon Coquillettes, un podcast du magazine Bubble, la vie de famille… en vrai !