Risques et rythmes Formidables outils pour améliorer « l’acquisition des connaissances et des savoir-faire », comme le soulignait l’Académie des sciences en 2013, les écrans peuvent s’avérer particulièrement nocifs quand leur usage n’est pas cadré. Voici donc quelques bons réflexes à adopter !
La vie de parents
Qu’est-ce qui pousse de plus en plus de parents à laisser leurs enfants passer denombreuses heures sur les écrans, et ce dès leur plus jeune âge ? Le font-ils pour stimuler leur éveil, développer leurs capacités cérébrales ou encore les préparer à un avenir professionnel où l’écran a une place prépondérante ? Oui, en partie - nombre de parents pensent que, grâce à la pléthore d’applis dites ludoéducatives, leurs enfants apprendront de nombreuses choses -, mais il ne faut pas négliger les difficultés auxquelles sont confrontés certains milieux sociaux très démunis (environnement pénible, souffrance au travail, problèmes financiers, familles monoparentales...), ni le quotidien des familles de milieux aisés, où les parents, happés par leur travail, sont peu à la maison. « Nounou » gratuite, efficace et à disposition, l’écran est alors bien pratique pour occuper les enfants.
Moments de transition
Autre phénomène : la place de plus en plus prépondérante des écrans lors des moments de transition. Dans les salles d’attente, les transports, chez le coiffeur... les adultes ont souvent le réflexe de donner leur smartphone aux enfants pour qu’ils se tiennent tranquilles. Anodin ? Pas tant que cela, car remplir ces « entre-deux » du quotidien, c’est rater l’occasion de moments d’échange et d’apprendre à nos enfants la capacité à patienter. Qualité qui se fait de plus en plus rare dans notre société du zapping...
Parents de la Silicon Valley
Selon un article paru dans le New York Times en 2014, Steve Jobs limitait le temps passé devant les écrans de ses enfants. Le journaliste Nick Bilton, qui avait recueilli en 2010 cette confidence du patron d’Apple, avait alors interrogé d’autres big boss de la Silicon Valley. Tous lui avaient alors confié ne pas autoriser les écrans dans la chambre de leurs enfants et, pour certains, ne pas leur donner de smartphone avant l’âge de 14 ans...
Pourquoi les écrans fascinent-ils autant nos enfants ?
Parce qu’ils répondent à une dimension essentielle à tous les êtres humains en développement : la distraction et, pour les écrans tactiles, le besoin d’ interaction, et ce, sans le moindre effort. Réagissant immédiatement au toucher, ils offrent une gratification instantanée à l’enfant qui va alors répéter l’opération.
Montrer l’exemple
Nos enfants sont de vraies éponges et copient nos gestes (comme nos mimiques ou nos habitudes de langage) sans que nous en ayons toujours conscience. En leur présence, il est donc important d’adopter les bons réflexes, comme de couper le son de son téléphone, de s’abstenir de le prendre à table, de résister à l’envie de répondre à un texto ou de consulter ses réseaux sociaux... Autorisez-vous une pause : personne ne vous en voudra de choisir votre famille plutôt que vos écrans ! Par ailleurs, certaines études laissent à penser que l'utilisation à haute dose par les parents de leur smartphone en présence de leurs enfants pourrait conduire, dans les cas extrêmes, au développement de troubles alimentaires et de l'endormissement chez les bébés. Notamment du fait qu’ils doivent partager l'attention de leurs parents. De nombreux enfants développent ainsi un sentiment de jalousie envers le smartphone : si les vôtres vous reprochent de passer trop de temps derrière votre téléphone, c’est qu’il est temps de revoir vos priorités.
Avant 3 ans : pas de télé, très peu de tablette
L’avis de l’Académie américaine de pédiatrie (AAP) :
Les principales recommandations dans nombre de pays sont issues de l’avis de l’Académie américaine de pédiatrie, qui a émis, en octobre 2016, un document intitulé « Media and Young Minds », après avoir compilé les dernières recherches, tout en mentionnant que ces dernières étaient encore rares. Elle rappelle que les enfants de moins de 2 ans ont besoin avant tout, pour développer leurs compétences socioémotionnelles, linguistiques, motrices et cognitives, d’interagir avec leur entourage et le monde physique et que, avant cet âge, les bénéfices des écrans restent limités. Elle déconseille ainsi fortement aux familles d’exposer les enfants avant 18-24 mois aux écrans (sauf pour discuter en ligne, via Skype par exemple, quand les proches d’une famille sont éloignés).
En France
Aussi surprenant que cela puisse paraître, il n’y a pas d’avis « officiel » en France. La personnalité la plus connue sur la question est le psychiatre Serge Tisseron, qui a établi en 2008 la règle des « 3-6-9-12». Il opère une différence entre la télé, à interdire avant 3 ans, et les écrans interactifs, que l’on peut envisager, mais « toujours accompagné, pour le seul plaisir de jouer ensemble » (avis partagé par l’Académie des sciences dans son rapport « L’enfant et les écrans », rendu en 2013 et qui proscrit la télé avant 3 ans mais pas les tablettes, qui « peuvent être utiles au développement sensorimoteur du jeune enfant »). Si l’Association française de pédiatrie ambulatoire (AFPA) a repris ces balises « 3-6-9-12 », elle précise cependant que « l’enfant n’a pas besoin d’une tablette pour se développer. S’il n’en a pas, il ne prendra pas de retard sur les autres ! ».
Parmi les plus réfractaires, Michel Desmurget, docteur en neurosciences et directeur de recherches à l’Inserm, précise que « les écrans n’ont aucun effet positif sur le développement émotionnel ou cognitif de l’enfant, qui a besoin d’humain et d’interaction (manipuler des cubes, jouer avec des enfants et ses parents, s’ennuyer) ».
À noter que le nouveau carnet de santé (avril 2018) comporte désormais un paragraphe entier concernant les écrans. Le ministère des Solidarités et de la Santé déconseille ainsi fortement de laisser son enfant de moins de 3 ans dans une pièce où la télévision est allumée, même s’il ne la regarde pas, et préconise, quel que soit l’âge de l’enfant :
- d’éviter d’installer un téléviseur dans la chambre des enfants
- de résister à la tentation de se servir de la tablette ou du smartphone comme doudou pour calmer l’enfant, pour l’accompagner durant ses repas ou lors de son endormissement
- d’éviter d’utiliser un casque audio ou des écouteurs pour le calmer ou l’endormir.
Combien de temps ?
- 2-5 ans : 1 heure par jour au maximum
L’Académie américaine de pédiatrie conseille de limiter le temps d’écran des enfants de 2 à 5 ans à 1 heure par jour (tous appareils confondus), à condition que le contenu soit de qualité et que l’adulte aide l’enfant à comprendre ce qu’il regarde et à appliquer dans le monde physique ce qu’il a appris.
- À partir de 6 ans : Il n’existe pas de recommandation précise. À chaque parent d’édicter ses règles (le mieux étant de commencer dès le plus jeune âge pour habituer l’enfant à suivre un cadre), en prenant en compte quelques précisions :
> Plus l’enfant sera jeune et plus la fréquence et la durée d’exposition aux écrans devront être courtes, voire occasionnelles.
> Le temps passé devant les écrans est le temps cumulé sur TOUS les supports : télé, ordinateur, smartphone, tablette...Une heure de télé après l’école, pourquoi pas, mais quand on ajoute 20 min de tablette sur son appli préférée, puis 30 min de jeux vidéo en ligne avec les copains et 15 minutes sur Skype avec son parrain parti à l’étranger, l’addition se corse !
> Le temps consacré aux écrans ne doit pas empiéter sur les activités importantes pour le bon développement des enfants, tels que les repas et le sommeil mais également le sport, le jeu libre, les jeux de société, la lecture, les activités manuelles, artistiques et culturelles, les devoirs... Tout est une question d’équilibre.
- Les « 4 pas »
Psychologue clinicienne et thérapeute familiale, Sabine Duflo propose sur son site 4 conseils simples à retenir : la méthode des « 4 pas ». Comme le résume avec humour Elisabeth Baton-Hervé, spécialiste des médias à l’Union nationale des associations familiales (UNAF) :« C’est aux écrans de s’adapter au rythme de la famille et pas l’inverse ! »
Pas d’écrans le matin...
...avant de partir à l’école. Les écrans sont des capteurs d’attention. L’enfant qui regarde un écran le matin fatigue son système attentionnel avant d’arriver en classe et aura plus de difficulté à rester concentré.
Pas d’écrans pendant les repas...
...ni de télé allumée! Le repas est le moment privilégié pour tisser les relations familiales et apprendre à parler en groupe : savoir écouter, ne pas se couper la parole, énoncer clairement son opinion, être en désaccord sans s’énerver...Consacrez ce moment à discuter, à poser des questions, à vous intéresser à leur quotidien. Au-delà d’impacter la vie de famille, il faut aussi prendre en compte le contenu anxiogène de certains programmes (en particulier le journal télévisé), qui a des répercussions sur l’enfant, même s’il est trop jeune pour comprendre...
Pas d’écrans avant de s’endormir
La lumière bleue émise par les écrans retarde la sécrétion de la mélatonine, cette hormone produite par la glande pinéale quand il fait sombre et qui indique au cerveau que c’est le moment de s'en dormir. De plus, les écrans ont souvent un contenu excitant, voire chargé émotionnellement, qui met l'enfant dans un état de tension. À l’occasion de la 18e Journée du sommeil, en mars dernier, l’Institut national du sommeil et de la vigilance (INSV) a sonné l’alarme en recommandant de lâcher les écrans au moins 1h30 avant le coucher et durant toute la nuit, parlant de « couvre-feu digital ».
Pas d'écrans dans la chambre des enfants
L’isolement rend difficile le contrôle des parents sur le contenu et accentue le risque de surconsommation, les enfants ayant une très faible capacité à s’autoréguler ! Pas d’écrans, signifie aussi savoir être seul et s’occuper en faisant appel à son imagination, à sa curiosité, à son inventivité...L’ennui, l’absence de stimuli permanents sont primordiaux pour le développement et la vie intérieure de l’enfant :« l’ennui rend intelligent ! ».
Quant aux ados, évitez le téléphone dans leur chambre, la nuit. L’idéal est de décider d’un endroit (salon, cuisine...) où toute la famille laissera son portable à charger (via un chargeur multiple, par exemple).
Serge Tisseron confirme ses recommandations 10 ans après dans une interview accordée à Bubble Mag, à retrouver ici !
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