Le proverbe dit : « On ne peut donner que deux choses à ses enfants : des racines et des ailes. » Voilà donc tout le paradoxe de l’éducation : chaque jour, cultiver ces miens qui, loin de devenir des chaînes, constitueront le terreau fertile de leur confiance en eux. À ce titre, les fêtes de fin d’année sont un moment précieux pour créer ces racines au contact de la famille « élargie » (aïeux, oncles et tantes, cousins…) et comprendre que l’on fait partie d’une longue histoire.
Savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va…
Les psychologues qui travaillent sur les secrets de famille sont formels : il faut souvent savoir d’où l’on vient pour savoir où l’on va. Pour Serge Tisseron, auteur de plusieurs livres sur le sujet (1), cette connaissance est même cruciale pour renforcer la confiance que les enfants placent en eux-mêmes et en les adultes qui prennent soin d’eux. Quelle belle manière d’attendre le Père Noël que de proposer par exemple aux grands-parents de ressortir l’immense pile des albums de famille ou d’organiser une projection de leurs vieilles vidéos ! Leurs petits-enfants auront alors l’impression de remonter le temps : peut-être se verront-ils nouveau-nés, dans les bras des uns et des autres, déjà entourés et aimés ; peut-être apercevront-ils pareillement leurs parents ; peut-être pourront-ils jouer au jeu des ressemblances sur des photos si anciennes qu’elles leur sembleront irréelles, remplies de silhouettes grises dont ils écouteront religieusement égrainer les prénoms pour mieux se délecter de cette multitude. Mais l’histoire et la culture familiale ne résident pas que dans les récits : elles s’ancrent aussi profondément dans nos sens, notre mémoire olfactive étant l’une des plus performantes. C’est souvent dans les petits gestes que l’on reçoit de ses aînés l’essentiel de son histoire et de sa culture. C’est ainsi que, pour nombre d’entre nous, l’héritage culturel réside aussi dans ces bons petits plats qui nous remplissent de nostalgie. Les fêtes de fin d’année sont une occasion précieuse pour apprendre à les réaliser : aux plus petits, le plaisir sensoriel d’étaler une pâte au rouleau ou de casser des œufs ; aux plus grands, celui d’acquérir les tours de main d’une grand-mère ou d’un grand-père et de les consigner précieusement ; à tous, le bonheur de contribuer à la confection d’un plat de fête qui compte tout particulièrement.
Incarner l’Histoire…
Mais ce n’est pas tout car, au-delà de l’histoire familiale, unique et intime, les grands-parents ont aussi ce pouvoir d’incarner l’Histoire avec un grand H. En témoignant du passé autrement que le font les livres désincarnés, ils contribuent aussi à ancrer les enfants dans l’histoire de la société dans laquelle ils grandissent. Outre la connaissance de l’histoire de leur pays, ces récits d’adultes permettent aussi aux enfants de structurer leur échelle des temps historiques, eux qui sont si nombreux à nous demander candidement : « Il y avait encore des rois, quand tu étais petit ? » Les fêtes de fin d’année sont alors pour eux un temps précieux où ils pourront se transformer en petits reporters pour questionner chaque génération : peut-être y aura-t-il une grand-mère pour raconter comment elle a suivi avec passion à la télévision les premiers pas de l’humanité sur la Lune ? Peut-être y aura-t-il un grand-père pour raconter le temps où l’école n’était pas mixte et où l’on écrivait à la plume ?
Mille et une familles
En Occident, on a tendance à oublier que les parents ne sont pas les seuls éducateurs de leur enfant : sous l’influence de l’évolution des modes de travail et de vie, le modèle de la famille nucléaire – constituée des seuls parents et enfants – s’est peu à peu imposé. Pourtant, il y a toujours eu mille et une façons de « faire famille », comme l’ont montré les anthropologues (2) : chez certains peuples d’Océanie, le « don d’enfant » est par exemple très fréquent (on devient donc souvent parent par adoption) ; chez les Trobriandais de Papouasie-Nouvelle-Guinée, les enfants sont élevés par leur oncle maternel, seul homme important à leurs yeux ; quant aux enfants du peuple Na, en Chine, ils ne connaissent pas leur père biologique mais grandissent au sein d’une communauté apparentée à leur mère. Le moins que l’on puisse dire est que nous sommes loin d’avoir inventé la famille recomposée ! Nous avons peut-être en revanche oublié les ressources que constituent pour l’enfant le soutien et la présence de plusieurs adultes de référence. C’est ce qui a conduit les Canadiens Gordon Neufeld et Gabor Maté, l’un psychologue, l’autre médecin, à plaider pour le modèle de la famille « méditerranéenne » (3), qu’ils décrivent comme une organisation où chaque adulte de la famille élargie resterait affectivement présent pour l’enfant, même s’ils se voient peu. En assumant tantôt la fonction de cadre structurant, tantôt celle d’oreille patiente et bienveillante, cette multiple présence adulte constituerait le meilleur rempart contre les maux de notre temps.
(1) Serge Tisseron, Les Secrets de famille, PUF, 2017.
(2) Martine Fournier et Véronique Bedin, La Parenté en question(s), Sciences Humaines, 2013.
(3) Gordon Neufeld et Dr Gabor Maté, Retrouver son rôle de parent, L’Homme, 2005.
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