Dans cet épisode, nous parlons de cette première grande période d’affirmation de votre bébé. Généralement vers 8, 9 mois, une période où il va prendre conscience de sa singularité… et vous aussi !
Pour nous accompagner, Aurélie Callet, Psychologue clinicienne et coach parentale, auteur des livres « Je ne veux pas » et « Je ne dors pas » aux éditions De Boeck supérieur et co-créatrice avec Clémence Prompsy du cabinet Kidz et Family.
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Kim Abramowicz : Dans cet épisode, nous parlons de cette première grande période d'affirmation de votre bébé, généralement vers 8 ou 9 mois, une période où il va prendre conscience de sa singularité… et vous aussi. On retrouve tout de suite Aurélie Callet, coach parental, psychologue clinicienne, créatrice de Kidz et Family, et auteure, avec Clémence Prompsy, des livres Je ne veux pas et Je ne dors pas aux éditions De Boeck Supérieur. Aurélie, bonjour !
Aurélie Callet : Bonjour, Kim.
K. A. : Alors aujourd'hui, on parle d'une étape parentale vraiment riche. L'enfant, vers 8-9 mois, prend conscience de lui-même, et donc de sa capacité à être détaché de l'autre, et notamment de ses parents. On commence à parler généralement de « peur de l'abandon ». De quoi est-ce qu'il s'agit exactement et comment ça se manifeste ?
A. C. : En fait, effectivement, on appelle ça, autour du huitième mois, c'est l'angoisse de séparation et d'abandon. Ce qui veut dire qu'en fait, avant 8 mois, Bébé pense – ça ne se joue vraiment qu'avec la maman – Bébé a l'impression qu'en fait, lui et Maman ne font qu'une seule et même personne. Donc en fait, quand il pleure et que le sein arrive, que le biberon arrive, qu'une tétine arrive, il pense que c'est un peu… comme Inspecteur Gadget, « Go-Go ! Gadget-au-biberon », et hop, il a un super pouvoir magique : « J'ai besoin de quelque chose et ça arrive comme par magie. » Et puis effectivement, aux alentours de 8 mois – alors, comme tous les stades du développement de l'enfant, c'est toujours plus ou moins – mais en gros, aux alentours du huitième mois, Bébé réalise qu’en fait, ce n'est pas une seule et même personne, mais que c’est deux personnes. Et alors là, ça devient extrêmement paniquant pour lui parce qu'en gros, il comprend très bien que : « Si jamais Maman s'en va, je risque de mourir. Parce que qui va s'occuper de moi, qui va me nourrir, etc. ? » Donc, effectivement, c'est une période chez le bébé qui est une vraie première période d'individuation, et c'est très important que les jeunes parents aient cette date en tête parce que beaucoup de parents ne connaissent pas cette histoire du huitième mois et ça devrait être, selon moi, dans tous les livrets de maternité, en fait, en partant.
K. A. : Alors, très concrètement, comment on reconnaît cette phase ? Quels sont les symptômes ?
A. C. : Ça va être plus ou moins marqué selon les bébés, mais ça va être des bébés qui étaient très cool dans un transat, dans le salon, c'était des bébés qui pouvaient vous voir sortir et rentrer dans une pièce – en tout cas, vous voir sortir d'une pièce – sans que ce soit problématique, qui étaient extrêmement souriants avec tout le monde… et puis alors, d'un seul coup, dès que vous sortez du champ de vision, ils pleurent. Dès que c'est un visage un petit peu inconnu, ils pleurent. En fait, on sent un changement. Un bébé qui paraissait finalement être très facile, très sociable, on a l'impression qu'il le devient beaucoup moins, et qu'il est très, très scotché avec Maman. C'est cette période-là où les mamans vous disent : « Je ne peux pas aller aux toilettes, je ne peux pas prendre ma douche. En fait, il faut que je sois toujours à côté. »
K. A. : Vous le savez, dans ce podcast, on parle de vos stades d'éveil, des stades d'éveil des parents. Alors, Aurélie, est-ce que le papa et la maman vivent la même chose quand leur enfant passe ce stade des 8 mois et cette angoisse de séparation ?
A. C. : L'angoisse de séparation se joue vraiment du côté de la maman donc, pour le coup, malheureusement, les papas, sur ce coup-là, ils ne peuvent pas faire grand-chose, si ce n'est quand maman doit sortir. C'est vrai que ce n'est pas très agréable pour le papa parce que Bébé va pleurer. Alors ce n'est pas du tout parce qu'il n'aime pas son papa. Ce n'est pas du tout ça. C'est qu’en fait « Maman, je pensais que c'était moi. En fait, c'est comme si je partais ». Donc le papa n'a pas à se culpabiliser ou se sentir « désaimé » de son bébé, parce que ce n'est pas le cas. D'ailleurs, très souvent, une fois que la maman est partie, si Bébé est avec Papa, il va se consoler beaucoup plus vite avec Papa qu’avec un inconnu ou quelqu'un que le bébé voit peu.
K. A. : Oui, donc les parents ne vivent pas la même chose. C'est intéressant. C'est peut-être une occasion, justement, pour les parents entre eux, de parler de la façon dont ils vivent cette première crise, l'une des premières crises de l'enfant, et d'être là l'un pour l'autre et de se dire : « S’il pleure pour avoir sa maman, ça n'est pas au détriment de son papa, etc. » Alors j'aimerais bien revenir juste une seconde sur cette notion de l'enfant qui se calme une fois que la maman est partie. Ça, c'est quelque chose qu'on nous dit très souvent quand on a ses enfants en crèche : « Allez-y, allez-y ! » Donc on part le cœur serré parce que l'enfant est en larmes. « Partez sans vous retourner, allez-y. Une fois la porte fermée, tout ira bien. » Est-ce que c'est vrai, ça ? Est-ce que cet enfant a quand même cette capacité à se calmer assez rapidement ?
A. C. : Alors ça, c'est… Non, c'est vrai, il y en a qui, effectivement, vont se calmer assez vite. Il y a des bébés qui vont pleurer pendant cinq minutes parce que, potentiellement, peut-être que vous pouvez encore les entendre. Et puis, une fois qu'ils sont convaincus que vous êtes partie, ils se résignent un peu, et ce n'est pas pour autant qu'ils ne passent pas une excellente journée. Mais ça, il y a des enfants, même bien plus grands que 8 mois, qui le font. À la crèche, dès 2 ans, cette histoire de pleurer quand Maman s'en va pour montrer mon mécontentement. Mais aussi : « Je pleure quand Maman vient me chercher. Parce que comme c'est mon objet de confiance, c'est mon parent référent, quand Maman arrive – ce qui peut être déstabilisant – je me mets à pleurer très fort. Ce n'est pas parce que je suis triste de la voir, c'est que "Ah, tu es là !", je peux me laisser aller à tout ce que je ressens. »
K. A. : Donc on retient que c'est une période, effectivement, difficile pour l'enfant, mais qu'il a plein de ressources pour la dépasser. Mais on garde quand même en tête, Aurélie, que c'est vraiment une des toutes premières phases, ultra importante quand on parle de psychologie de l'enfant.
A. C. : Oui, c'est un peu… C'est quand même bizarre de vous dire, de penser que c'est une seule et même personne et que, d'un seul coup, en fait, c’est deux ! Enfin, c'est un peu… C'est quand même effectivement très étrange. Et puis ça peut être très angoissant. Et c'est pour ça qu'en fait, cette angoisse de séparation, elle est liée au fait de : « Si Maman s'en va, je suis complètement inquiet. C'est parce qu'en fait, si Maman s'en va, qui va s'occuper de moi ? » C'est vraiment des angoisses… Ça peut provoquer des angoisses de mort très… C'est un vrai truc. Alors ce qui est plutôt chouette, c'est que ça ne dure pas très longtemps. L'angoisse de séparation, elle dure en général jusqu'au neuvième mois, et après, l'enfant a intégré que c'était deux personnes. Et surtout, parce que ça, c'est très important à cette période-là, c'est d'extrêmement rassurer votre bébé, de ne pas se dire : « Oh là là, je vais donner des mauvaises habitudes. Non, il a besoin de moi, il n'arrête pas de vouloir être dans mes bras, je dis non parce qu’après, ça va être compliqué… » Non. À 8 mois, il faut absolument rassurer votre bébé. C’est-à-dire qu’il vient de comprendre que vous étiez deux personnes distinctes, mais que : « Même si nous ne sommes pas une seule et même personne, je suis toujours là. On se retrouve toujours. Quand tu dors, je suis dans la pièce à côté, on se retrouve tous les matins. Quand je te dépose à la crèche, je viens toujours te chercher. Il y a des périodes où on ne va pas être l'un avec l'autre, mais je ne suis quand même jamais très loin. » Donc en fait, c'est au contraire la période où il faut les rassurer le plus.
K. A. : Est-ce que c'est à cette période que l'on peut commencer à parler d'autonomie ? 8 mois, c'est aussi le moment où l'enfant commence à se tenir assis, à regarder le monde autrement, à se saisir des objets avec une volonté particulière. Est-ce qu'il faut prendre conscience de son individualité, de la séparation de corps avec la mère, pour commencer à vivre un truc super sympa, qui est l'autonomie – et bientôt, l'envie d'aller crapahuter, d'aller découvrir autre chose ?
A. C. : C'est un petit peu mélangé. Ce dont vous parlez, de « Je réalise que j'ai une autonomie, une personnalité, et ça c'est chouette », ça, c'est plutôt ce qu'on appelle la période des deux ans. Mais vraiment, en fait, à 8 mois, c'est juste « Je viens de prendre conscience de quelque chose qui est extrêmement angoissant pour moi ». Donc on rassure, on rassure Bébé le plus qu'on peut de 8 à 9 mois, et après, on l'a rassuré et il passe à autre chose parce qu'en fait, effectivement, il est suffisamment rassuré pour se dire : « O.K., Maman n'est pas toujours dans la même pièce que moi, mais elle m'a prouvé qu'elle revenait toujours me chercher. Donc je peux me détendre et je peux me tranquilliser. » C'est pour ça que, vraiment, il faut ne pas hésiter à rassurer Bébé au maximum. Nous, on a beaucoup d'enfants en consultations sommeil qui ont 3 ans, 4 ans, qui sont incapables de s'endormir en autonomie, et en fait, c’est des bébés où les parents étaient partis, par exemple, autour de 8 mois en voyage de noces, ou qui avaient pris quelques jours pour partir en amoureux en se disant « Bébé est assez grand, c'est chouette, on peut y aller », et qui n'avaient pas assez expliqué à Bébé ce truc-là. Eh bien, c'est des enfants, à 3 ans, pendant ce week-end là, cette semaine-là où les parents sont partis, il s'est réveillé, il a appelé ses parents qui ne venaient pas, même si c'était quelqu'un qu’ils connaissaient et qu'ils aimaient bien, mais en fait, si ça a traversé, dans la tête de l'enfant, « Maman n'est pas là, peut-être qu'elle ne va jamais revenir me chercher », ça transmet chez lui un sentiment d'insécurité, et ça, ils peuvent le garder pendant très longtemps. Et auquel cas, ces enfants-là, il faut vraiment leur expliquer, même à 3 ans : « En fait, on a trouvé la raison pour laquelle, aujourd'hui, c'est très compliqué pour toi de t’endormir si Maman ne reste pas à côté de toi. » En fait, il faut vraiment leur expliquer. Si jamais les parents qui nous écoutent sont partis en voyage de noces, en week-end pendant que le bébé avait 8 mois, et qu'ils ont un enfant plus grand qui a des troubles du sommeil, c'est hyper important de leur dire, exactement. Et puis il faut faire une vraie conversation avec Bébé. Il y a des consultations spécialisées qui sont autour de l'angoisse de séparation et d'abandon, où en fait, là, en tant que psychologue, il faut répéter deux, trois, quatre fois à l'enfant, son histoire : « Très brièvement, quand tu avais 8 mois, on est partis en vacances avec Papa. Tu étais trop petit pour faire ce voyage, donc tu es resté à la maison avec mamie. Finalement, aujourd'hui, on se rend compte que tu as dû avoir très, très peur qu'on ne revienne pas te chercher. Et c'est pour ça qu'aujourd'hui, à chaque fois que tu vas te coucher, tu as peur qu'en te réveillant, on ne soit plus là. Donc sois rassuré. Tu vois, on est revenus de ce voyage. » Voilà, vraiment d'expliquer à Bébé ce qui s'est passé, et aux plus grands que, en fait, cette angoisse qu'ils ont face au sommeil, ça fait partie de leur histoire du passé, et que la bonne nouvelle, c'est qu'on sait pourquoi et que donc on peut avancer.
K. A. : Est-ce qu'à cette période, les parents sont sommés par leur enfant de faire leurs preuves ? « Prouve-moi que tu reviens, prouve-moi que tu me protèges, prouve-moi que tu acceptes qui je suis, même si je pleure, même si je fais des crises, même si je t'accueille avec ces pleurs. » Est-ce que, à ce moment-là, on est sommé de faire nos preuves ?
A. C. : Je ne sais même pas si c'est « faire ses preuves », mais je pense que cette notion de… Moi, ça me fait un peu penser, ce que vous dites, à cette notion d'amour inconditionnel. Et ça, c'est très important pour les enfants, les bébés, qu'ils le sentent. Et après, quand ils grandissent : « En fait, quoi que tu fasses, je veux dire, même si jamais je ne dors pas depuis huit mois, depuis un an, en fait, je t'aime toujours. Quoi que tu fasses, qui que tu sois, mon amour t'est dédié à 100 % et sans aucune condition. » Donc c'est un peu, dans le sens de « faire ses preuves », je dirais que c'est… En tout cas, pour cette histoire du huitième mois, il faut prouver à votre bébé que vous n'allez jamais le laisser tomber et que vous revenez toujours le chercher. Si jamais vous devez quand même vous absenter parce qu'il y a un truc de travail ou un événement familial où vous ne pouvez pas l'emmener, pas de stress. Si ça tombe à cette période-là, faites-le. Si possible, de préférence, faites venir le grand-parent, enfin la personne qu'il connaît, plutôt dans son environnement à lui. Je trouve que c'est plus simple pour les bébés à cette période-là. Et de lui dire… Alors, plutôt que de lui dire « On part, on s'en va », qui sont un peu des mots de vocabulaire qui sont un peu liés au départ et que je trouve un peu pas très positifs, de dire : « Tu vas rester avec Mamie à la maison. On se retrouve dans deux dodos. » Vous voyez ? Plutôt que de parler de départ, on parle de se retrouver.
K. A. : Et puis peut-être, dire… Moi, je me souviens, mes enfants étaient à la crèche et je me souviens que les professionnels de la petite enfance, à la crèche, passaient leurs journées à dire aux enfants : « Maman pense fort à toi. Papa pense à toi. Ils reviennent tout à l'heure. » Donc en fait, peut-être dire à ces personnes à qui on confie nos enfants : « Parle de moi, parle-lui de moi. » Est-ce qu'il faut faire ça ?
A. C. : Exactement. Et puis surtout, leur dire que, en fait, ils sont toujours dans nos cœurs, que même si on n'est pas ensemble, même s'ils ne nous voient pas, on n'est jamais loin. Et d'ailleurs, aux alentours du huitième mois, je trouve, ce qui aide énormément les bébés à comprendre ça – et en plus, ils adorent ça et ça les fait beaucoup rigoler –, c'est de vraiment jouer à « Coucou, me voilà », ou un peu à cache-cache. C'est-à-dire que, même de façon très simple, au départ, il est sur sa chaise haute. Vous vous baissez, il ne vous voit pas. De remonter d'un seul coup, déjà, en général, ils sont morts de rire et ça leur plaît. De commencer comme ça, en fait, pour que le fait qu'il vous perde de vue, ça ne déclenche pas de la panique ou de l'anxiété, et après, de faire par exemple un vrai cache-cache. S’il y a votre conjoint qui est là, l'un de vous deux se cache derrière le rideau, et de dire « Tu vois, même quand tu ne me vois pas de tes yeux – là, tu ne me voyais pas, j'étais cachée, et finalement, j'étais là » pour vraiment qu'il comprenne, « Il ne faut pas nécessairement un contact visuel pour te rassurer que je sois là ».
K. A. : Et là, on est vraiment au cœur de cette notion selon laquelle le jeu permet l'apprentissage.
A. C. : Moi, je trouve que ce qui leur permet le mieux, et d'ailleurs, quand c'est des enfants pour qui c'est très compliqué, à force de faire ces parties de cache-cache, on se rend compte que l'enfant tolère de mieux en mieux qu'on soit caché de plus en plus longtemps. Au début, ça peut vraiment être hyper stressant pour eux. Et en fait, on se rend compte qu'à force de jouer, ça l’a fait rigoler et il se rend compte que : « Oui, j'étais très inquiet parce que je ne la voyais pas, mais en fait, elle est même toujours dans la maison. Donc je peux me détendre, je me rassure. » Et effectivement, par le jeu, on apprend toujours beaucoup, beaucoup de choses.
K. A. : Et alors côté parents, qu'est-ce qu'on apprend ? Est-ce que c'est à ce stade d'éveil du parent que l'on apprend à être un super équilibriste, capable de patience, d'humour, de diplomatie, capable de faire diversion parfois ? Bref, un atout, un outil qui nous servira pour très longtemps !
A. C. : Chaque âge va nous faire devenir un autre équilibriste, apprendre d'autres figures. C'est sûr. Et puis surtout, moi je trouve que cette période du huitième mois, elle permet vraiment de comprendre la différence, ou en tout cas, d'essayer de le comprendre, entre les besoins et les envies. Huitième mois, l'enfant a besoin d'être rassuré. C'est un vrai stade psychologique qui se passe. Là, c'est pas une envie, c'est pas une lubie. Et donc, les besoins. Besoin d'être rassuré, ça, c'est vraiment le rôle principal du parent à 8 mois. Et parfois, ce n'est pas facile, c'est pas rigolo, dès qu'on quitte l'appartement, de voir son bébé qui hurle, franchement, c'est pas très rigolo. De ne jamais pouvoir être 30 secondes sans pouvoir le poser quand on a des choses à faire, c'est vrai que c'est dur. Parfois, c'est dur. Mais vraiment, dites-vous que cette phase-là n'est pas censée durer et en gros, ça dure 4-5 semaines, donc juste « Patience, on rassure ». Et après, il est prêt à se lancer et il n’est plus inquiet sur le fait que vous allez être là.
K. A. : Alors on sait que la culpabilité, Aurélie, peut se loger absolument partout. Qu'est-ce qu'on dit aux parents dont les enfants ne passent pas par cette étape, ou en tout cas, de façon très peu visible ? Est-ce qu'il faut s'en inquiéter ?
A. C. : Pas du tout. Il ne faut pas du tout s'en inquiéter. Ça veut dire que c'est passé effectivement beaucoup plus inaperçu, et tant mieux. Ça veut dire que ç’a été plus simple pour ces parents à gérer, qui n'ont pas eu besoin de « sur-rassurer ». Mais il n'empêche, même si ça passe inaperçu, n'oubliez pas de glisser régulièrement « Même quand tu ne me vois pas, je suis là, je reviens toujours te chercher ». Vous voyez ? Même si l'enfant n'a pas de manifestation où il a l'air d'être angoissé, juste quand vous le déposez à la crèche ou chez la nounou : « Je te dépose chez ta nounou, mais je reviens toujours te chercher. » Si vous devez aller dîner : « Je vais au restaurant, mais je rentre toujours dormir à la maison. Je reviens toujours te voir. » Je ne dis pas de lui répéter 20 fois par jour, mais en tout cas, quand vous devez le laisser quelque part, pensez juste à lui glisser cette phrase, et ça passera encore plus inaperçu, et ce sera encore plus fluide.
K. A. : C'est un moyen de dire à votre enfant : « En fait, je sais ce que tu es en train de vivre, et je suis là pour toi ».
A. C. : Exactement. « Et je reviens toujours. Je suis toujours là. »
K. A. : Aurélie, cette étape, elle a lieu, donc en général, on l'a dit, vers 8-9 mois, et elle intervient en même temps qu'un autre grand moment dans la vie de la famille, un moment chargé d'émotion : les premiers mots. Parce que c'est souvent à cette période que naissent dans la bouche du bébé les premiers « maman », « papa ». Est-ce qu'il faut faire un rapprochement ? Est-ce qu'il faut, justement, se dire que c'est parce qu'il se reconnaît lui-même qu'il vous reconnaît, vous, comme parent ?
A. C. : Oui, alors c'est vrai que c'est la période où, en fait, il comprend qu'il devient un individu à part entière, et un individu dépendant de l'adulte. Donc c'est vrai que ça peut être à cet âge qu’on va entendre les premiers « ma-ma-ma ». Et puis après, il y a d'autres enfants qui sont moins rapides sur le langage et qui vont dire leurs premiers mots beaucoup plus tard, mais pour autant, ils auront compris les mêmes choses.
K. A. : Une dernière question : cette idée de la naissance de l'identité me fait penser à ce conseil qu'on donne souvent aux parents, « Ne collez pas d'étiquette à votre enfant. » Des étiquettes qui, me semble-t-il, apparaissent aussi à cette période. On commence à entendre des parents dire « Ah, c'est un pot-de-colle » ou « C'est un casse-cou », avec plus ou moins de fierté, d'ailleurs. Mais, Aurélie, comment on fait pour ne pas coller ces étiquettes et pourquoi il ne faut pas le faire ?
A. C. : Alors moi, c'est vrai que les étiquettes apposées sur les enfants, c'est vrai que je n'aime pas trop, même quand c'est nous en tant que parents, même quand c'est sur quelque chose de positif, parce que je trouve que ça fige un petit peu les choses. C'est-à-dire qu'en gros, si on me dit que je suis un casse-cou, ou même, pour les un petit peu plus grands, quand on excuse un enfant qui ne dit jamais bonjour en disant « Il est timide, c'est pour ça », en fait, après, l'enfant peut un petit peu s'enfermer là-dedans. Et ça lui restreint un peu le champ des possibles de pouvoir changer. Et typiquement, à 8 mois, un enfant, les parents peuvent dire « Il est pot-de-colle » et tout ça, mais en fait, c'est normal à son âge et ça ne veut pas dire qu'il sera encore aussi scotché dans trois mois. Les enfants évoluent tellement vite, changent… Enfin je veux dire, il y a des choses qui vont…
K. A. : Est-ce que ça veut dire qu'il y a un risque à dire « C'est un pot-de-colle », à le transformer en un vrai pot-de-colle, long terme ?
A. C. : : Oui, c'est un peu… Mais même, je pense ce qui va plus parler aux parents, c'est quand vous êtes à l'école, plus tard – ça, on l'a tous, en tant qu'adultes, dans ses souvenirs –, si on vous met une étiquette du bavard, du cancre, de l'intello, après, en fait, c'est ou on reste là-dedans, « parce que ça, O.K., c'est plus facile pour moi et je sais faire », ou alors on aimerait faire autrement et puis on n'y arrive pas parce que c'est complètement ancré dans la tête des gens. Donc effectivement, les étiquettes, il faut les éviter le plus possible parce que les enfants sont en changement permanent. Un enfant qui est comme ça aujourd'hui sera un être humain totalement différent dans trois mois.
K. A. : Laissons le champ des possibles ouvert à nos enfants, du coup ! Merci Aurélie !
A. C. : Merci Kim !
K. A. : On termine cet épisode, comme d'habitude, avec un petit récap’ de ce que l'on a appris aujourd'hui. Aux alentours de 8 mois, votre enfant va vivre une véritable révolution psychologique. Il sait désormais qu'il est un être séparé de sa maman, un être qui a éminemment besoin de ses parents pour survivre. Prenant conscience de lui-même, il prend aussi conscience de votre identité de parent. Un sacré stade d'éveil pour vous, puisque vous êtes désormais reconnu dans votre rôle par le premier intéressé, votre bébé. Il ne manquera pas, bien sûr, de vous rappeler à vos responsabilités, à chaque fois que vous quittez une pièce. Et vous, patiemment – ou moins patiemment –, eh bien vous ferez le dos rond, vous rassurerez, encore et encore. Cette étape est cruciale pour la relation parent-enfant. Sera-t-elle basée sur la confiance ? Invitera-t-elle à l'autonomie ? Permettra-t-elle toutes les évolutions ? Évidemment, rien n'est jamais figé, mais c'est le moment où on commence à se poser ces questions, pour les parents qui souhaitent avancer en conscience. Mais rassurez-vous, ça n'est que le début. Nous ne manquerons pas de nous poser beaucoup d'autres questions dans les prochains épisodes de L'Écho des berceaux. À très bientôt !