La fin du congé maternité et le retour au travail sonnent la fin d'une période et le début d'une autre, parfois perturbante, mais vraiment intéressante dans l’apprentissage de la parentalité. Parce qu’on apprend notamment qu’on est une team pour cet enfant. Et qu'il faut laisser un peu plus de place au père, aux grands-parents, à la nounou… et on apprend à faire confiance.
On va découvrir aussi que son enfant a une super capacité à s’adapter. Il va vous bluffer, et vous allez voir ce n’est que le début ! On apprend également à s’écouter ! A suivre ses intuitions, à faire connaître ses besoins et à imposer certain de ses choix parfois.
Nous en parlons avec Aurélie Callet , Psychologue clinicienne et coach parentale, auteur des livres « Je ne veux pas » et « Je ne dors pas » aux éditions De Boeck supérieur et co-créatrice avec Clémence Prompsy du cabinet Kidz et Family.
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Kim Abramowicz : La marche, le langage, la diversification… Laissez-moi deviner… Ce que l'on appelle les stades d'éveil de l'enfant n'ont plus de secrets pour vous depuis que ce petit être charmant est entré dans votre vie. Mais qu'en est-il des stades d'éveil du parent ? Car on ne naît pas parent, on le devient, en accompagnant, pas à pas, nos petits. Nous découvrons alors en nous des richesses parfois insoupçonnées – patience, humour, enthousiasme – mais aussi des faiblesses et des émotions contradictoires, des craintes à fleur de peau et la peur de mal faire. Bien des choses à dompter pour avancer. Ce podcast vous invite à identifier ces grandes étapes de vie qui font de vous des parents, et à comprendre que vous n'êtes pas les seuls, ni les premiers, à les vivre ; que l'expérience des autres peut vous aider et qu'il est primordial de choisir votre chemin de parentalité, celui qui, en conscience, vous permettra de vous épanouir et de renforcer votre infini potentiel de parent. Je suis Kim, de la Bubble team. Vous écoutez L'Écho des berceaux, un podcast du magazine Bubble, et nous sommes très fiers parce que ce podcast est soutenu par Oxybul Éveil et Jeux, la marque française qui, depuis plus de 25 ans, accompagne les talents de chaque enfant… et ceux de leurs parents ! On retrouve tout de suite A. C., coach parental, psychologue clinicienne, créatrice de Kidz et Family, et auteure, avec Clémence Prompsy, des livres Je ne veux pas ! et Je ne dors pas ! aux éditions De Boeck Supérieur. Aurélie, bonjour.
Aurélie Callet : Bonjour !
K. A. : Merci, Aurélie, d'être avec nous ! Et nous commençons, pour le premier épisode de ce podcast, avec un sujet qui ne manquera pas de vous intéresser, évidemment : le retour au boulot – la fin du congé maternité, et donc la reprise du travail. Une période charnière, parce que le retour au travail de la mère met fin à cette période un peu particulière qui a suivi la naissance du bébé, et qui était un peu un prolongement de la gestation. Le bébé et sa maman avaient encore la possibilité d'être 100 % ensemble, de faire fusion. C'est donc généralement aux 2 mois et demi, 3 mois de l'enfant que l'on quitte ce petit cocon post naissance, en tout cas quand il s'agit d'un premier enfant. Quels sentiments naissent alors chez les nouveaux parents ?
A. C. : Alors c'est vrai qu'il y a des sentiments qui sont très mélangés, très différents selon les parents, selon les familles. Je pense que le plus important, déjà, c'est est-ce que, d'abord, cette reprise de travail, c'est désiré ou c'est une obligation ? Il y a des parents qui ne peuvent pas toujours se mettre en congé parental. Selon les professions qu'on exerce, on n'a pas les mêmes indemnités. Sur des choses très basiques, parfois juste financières, on ne peut pas toujours s'autoriser de prendre un congé parental. Donc il y a des gens qui vont retourner au travail, ça leur a énormément manqué et ils sont très, très contents de retourner travailler. D'autres qui vont retourner travailler, où ça va vraiment être très difficile pour eux parce que l'impression de laisser leur bébé, ça va les rendre plutôt tristes. Les sentiments sont très partagés, très mélangés. Et en tout cas, ce qui est important, c'est d'être au clair avec çe qu’on ressent.
K. A. : C'est ça : c'est O.K. du moment qu'on l'assume. Pour autant, ce n'est pas toujours facile à assumer, notamment… Bon, quand on n'est pas bien parce qu'on a pas envie de quitter Bébé, on sait pourquoi on n'est pas bien. Et puis aussi, on peut ne pas être très bien alors qu'on a envie de reprendre le boulot.
A. C. : Bien sûr, on a le droit d'être content, mais ce n'est pas toujours facile à assumer quand on laisse un bébé. Quand les gens prolongent un petit peu et qu'on le laisse à 9 mois, 10 mois, 1 an, c'est plus facile à admettre. Pour les mamans qui ont des bébés de… Parce que normalement, on peut à partir de 10 semaines –2 mois et demi, 3 mois… De dire « Je suis trop contente de retourner bosser » –, je pense qu'elles ont un petit peu peur du jugement des autres, qui vont trouver ça étrange et pas normal. Alors que bien sûr, c'est… Moi, je trouve ça fantastique d'aimer son travail et d'être hyper content de retourner travailler. Je pense que pour être une maman épanouie, un parent épanoui, il faut être aussi épanoui dans d'autres domaines que celui de sa parentalité.
K. A. : Comment on compose avec les émotions contradictoires, entre la joie de retrouver une vie sociale plus riche, et cette culpabilité, justement, ou le besoin, tout simplement, de rester cocooner ?
A. C. : Alors oui, au début, effectivement, c'est un peu le tsunami émotionnel. On a l'impression qu'on n'est jamais au bon endroit au bon moment. Quand on est au travail, on se demande ce que fait Bébé, on aimerait être avec lui, et vice versa. L'impression de ne jamais être au bon endroit, dans le bon timing. Donc, vraiment, ce qui est important, c'est de faire preuve de patience, de bienveillance envers soi-même, de se laisser du temps. Je veux dire, quand on reprend le travail, c'est toutes sortes de réajustements. C'est une nouvelle façon de faire, une nouvelle organisation. Donc voilà : on ne peut pas faire tout, parfaitement. Sans doute qu’au boulot, il y a un dossier où on va être un petit peu en retard. Peut-être qu'on va laisser Bébé chez la nounou et qu'on aura oublié le bonnet. Je ne sais pas, peu importe. C'est pas grave, on progresse chaque jour. Donc vraiment, on fait preuve de douceur envers soi-même. C'est hyper important.
K. A. : C'est vrai que parfois, on est beaucoup plus dur avec soi-même qu'on ne le serait avec n'importe qui d'autre. Et d'ailleurs, on peut peut-être se dire dans ces moments-là qu'on n'est pas obligée de coller à ce qui serait un espèce de diktat de la Wonder Woman, qu'on peut être juste sympa envers soi-même, et qui peut parfois, la bienveillance commence envers soi-même, justement. Alors, Aurélie, les pères et les mères sont-ils égaux face à ces émotions dont on vient de parler ? Est-ce que le père aussi connaît à ce moment-là de grandes émotions ? D'abord parce que sa compagne et son enfant sont en proie à de grandes émotions. Et puis aussi parce que la reprise du boulot de la maman, ça demande à toute la famille de se réorganiser. C'est pas toujours aussi simple qu'il n'y paraît.
A. C. : En fait, c'est vraiment une réorganisation au niveau de la famille. Quand un bébé arrive, on vivait à deux, il faut se réhabituer à vivre à trois. Quand il y a le congé… Alors maintenant, on a l'allongement du congé paternité, ce qui est une très bonne nouvelle, même si on n'a pas encore les délais qu’ont d'autres pays, mais on ne peut que se réjouir que ça se soit allongé pour les papas. Maintenant, quand les mamans sont à la maison en congé maternité, il y a une certaine organisation de famille qui s'est mise en place. Donc les mamans gèrent. Très souvent, c'est plutôt elles qui se réveillent la nuit parce qu'on considère qu'elles ne vont pas bosser le matin à 8 heures. Donc voilà, on s'organise comme ça. Et puis après, rapidement, pour en tout cas celles qui reprennent le travail à l'issue du congé mat’, c'est deux mois et demi, trois mois. Donc forcément, là, il faut d'un seul coup, de nouveau, tous se réorganiser. Et ce n'est pas toujours facile pour les papas. C’est souvent à ce moment-là qu'on demande aux papas de, de nouveau, un petit peu plus s'impliquer, entre le matin, le soir, la nuit. Il y a des pères qui vont être hyper contents que leur femme reprennent le travail, et d'autres qui n'arrêtent pas de leur dire : « Mais franchement, pourquoi tu vas bosser ? C'était beaucoup mieux à la maison. Moi, je préfère vous savoir tous les deux là. » Voilà, donc ce qui est important, c'est vraiment d'avoir un vrai moment de couple, de discussion, que les choix soient O.K. avec tout le monde, qu'ils aient pu être discutés. Si jamais une maman reste à la maison parce que son conjoint lui dit que c'est un peu bête, elle va aller travailler, ça va coûter le prix de la nounou. Donc du coup, « Reste à la maison. Ça ne sert à rien que tu ailles bosser. De toute façon, c'est comme si tu allais travailler pour 100 euros par mois, donc… » Mais si pour cette maman-là – même si financièrement, ce n'est pas une bonne opération –, si pour elle, c'est extrêmement important de retourner travailler et que c'est comme ça que ce sera une maman épanouie, eh bien il faut qu'elle fasse ce qui l’épanouit elle. Et il faut que le conjoint entende ce qui est épanouissant pour l'autre. Et d'essayer, bien sûr, de faire des compromis pour que tout le monde s'y retrouve parce que l'idée, avec un bébé, c'est pas qu'on se dispute et qu'on n’ait que des désaccords, mais que… Voilà, qu'on puisse se mettre raccord sur les choix.
K. A. : Ce que vous dites, Aurélie me fait vraiment penser à cette expression : « Ça va mieux en le disant ! », finalement. Parfois, on croit savoir comment l'autre parent vit les choses. Et puis on se plante. Est-ce qu'il ne faudrait pas considérer cette période comme une bonne opportunité d'apprendre à se dire les choses ? Comment on se sent, si on trouve que l'autre ne s'implique pas assez, ou qu'il s'implique trop…
A. C. : Bien sûr ! Moi, je pense que le vrai défi commence quand les deux parents doivent retourner travailler, parce que là, il faut essayer d'être dans quelque chose d'à peu près équitable. Malheureusement, aujourd'hui, on n'est pas vraiment dans une équité parfaite. Ce qui est vraiment important, c'est de réussir à entendre l'autre, pas de juger ce que le conjoint dit en disant « C'est vrai » ou « C'est pas vrai », ce qui est finalement ce que nous on fait en tant que psychologues, aussi bien avec les adultes qu'avec les enfants. On ne part pas forcément de la réalité, mais on parle du ressenti des gens. Donc en fait, peu importe que l'autre trouve que ce soit juste ou faux. Si jamais votre conjoint vous dit « Moi, je ne me sens pas bien face à cette décision-là », « Ça m'inquiète »… Enfin voilà, à partir du moment où on arrive à parler, ça reste des émotions, du ressenti, donc c'est du subjectif. Donc je pense que c'est important, en couple, pour qu’on soit vraiment dans une notion de coparentalité, de pouvoir discuter, verbaliser les choses et que vraiment, chacun soit bienveillant et à l'écoute de ce que ressent son conjoint, qu'il ait l'impression que ce soit vrai ou pas du tout vrai, et d'essayer le plus possible de prendre les décisions à deux, en pensant uniquement au bien de sa famille, parce que la famille repose sur le couple. Donc c'est très important de ne pas oublier son couple.
K. A. : Savoir exprimer ses besoins, savoir entendre ceux de l'autre. Est-ce qu'on n'est pas en train de parler de ce qu'on appelle « la communication non violente » ? Vous nous expliquez en quoi elle consiste ?
A. C. : En fait, ce qui est important, c'est de ne pas toujours être dans le reproche. Pouvoir dire les choses, que l'autre accepte les ressentis, qu'on ne soit pas dans un comptage de « Comme je fais plus », « Comme tu fais moins », « Donc je suis mieux », « Donc je suis moins bien »… Ça, c'est des calculs qui ne vont mener qu'à des disputes, et des calculs où en fait, personne ne va ressortir gagnant ou perdant de là-dedans.
K. A. : Il y a des astuces pour mieux communiquer. Commencer par exemple ses phrases par « je » plutôt que par « tu. « Je me sens mal quand ceci ou cela », ou « Je suis inquiet si ça se passe comme ça ». Forcément, l'autre se sent moins attaqué. On n'est pas dans le ressentiment et dans l'attaque, mais bien dans une tentative de trouver ensemble des solutions, trouver ensemble une organisation. Et puis d'ailleurs, on peut prendre les devants sur cette organisation, j'imagine.
A. C. : Oui, le fait de se faire un planning, en couple, des choses, des tâches ménagères, de « Ce soir, c'est moi qui vais chercher Bébé », « Là, c'est moi qui m'occupe… » même des poubelles, du lave-vaisselle – enfin voilà, des trucs qui ne sont pas très rigolos. Le fait de le noter, on n'a plus besoin de solliciter l'autre pour lui demander. C'est noté, c'est acté, et on peut passer à des choses bien plus intéressantes au niveau du couple.
K. A. : On se crée des routines, quoi ! Et puis on va voir tout au long de ce podcast que les routines sont sacrément importantes dans la famille. Alors Aurélie, on a parlé beaucoup du couple, mais cette période donne aussi l'occasion de commencer à déléguer. Point de reprise du travail sans mode de garde. Et là encore, il faut le dire, ça se complique souvent pour les parents.
A. C. : C'est-à-dire que si on a trouvé un mode de garde avec lequel on est extrêmement serein, on a trouvé la nounou fantastique ou la super crèche où on est très en confiance ; ou, parce qu'on sait que selon certaines villes, ce n'est pas toujours facile de trouver des modes de garde et que parfois, on peut être obligé de choisir un mode de garde un petit peu à contrecœur, le temps d'espérer trouver mieux, et forcément, pour ces parents-là, c'est plus difficile parce que, voilà, ils sont un petit peu moins emballés.
K. A. : Alors, selon les cas, le bébé est laissé à la garde de professionnels, ou de ses grands-parents. C'est là qu'on apprend qu'il faut tout un village pour élever un enfant ?
A. C. : Oui, exactement. Et là aussi, ça va être un nouveau tournant, qui est intéressant, qui va faire, de nouveau, se reposer des questions. Ce n'est pas toujours facile, quand on est un jeune parent, où soi-même, on pensait avoir plein de convictions, et puis on se rend compte que, finalement, les principes peuvent changer une fois qu'on est confronté à certaines choses. Et c'est vrai que ça peut être difficile pour des jeunes parents de confier leurs enfants, par exemple aux grands-parents, et de se dire que peut-être ils ne vont pas faire comme nous on fait à la maison. Et pour autant, les enfants vont découvrir et apprendre beaucoup de choses, et c'est fantastique pour eux. Elle est très chouette, cette expression « Il faut tout un village pour élever un enfant ». Chaque personne qui va côtoyer votre enfant va lui apprendre des choses, différentes. Et même si ça n'est pas comme, vous, vous faites, au contraire, ça peut faire de la richesse, de la diversité. Donc si ça vous convient, c'est parfait et votre bébé va voir différentes choses. Si jamais, en revanche, il y a des choses qui ne vous plaisent pas du tout et que finalement, vous laissez votre bébé en étant complètement angoissé, stressé, en vous disant « Non mais là, je sais qu’elle va pas faire comme je dis, je sais qu'elle va le mettre dans son lit alors que nous, on n'est pas du tout O.K. avec ça, qu’elle ne va pas du tout nous écouter »… Là, je pense que c'est important que vous disiez :
« Voilà, peut-être que vous, vous n'allez pas comprendre, mais pour nous, dans nos choix éducatifs, ça, c'est très important pour nous. » Donc voilà : vraiment, faites entendre vos décisions, pourquoi c'est important pour vous. Ce n'est pas toujours facile, notamment par rapport aux grands-parents. Quand on devient parent soi-même, c'est qu'on n’est plus que les enfants de ses parents. Donc c'est un petit peu un positionnement qui, parfois, n'est pas simple pour les parents, de savoir s'affirmer et dire : « Peut-être que vous avez fait comme ça avec moi, mais maintenant, moi, c'est mon enfant. Je suis parent, vous êtes grands-parents, et je vous demande donc de suivre, comme c'est important pour moi. Et avec cette façon de faire là, moi, je vais pouvoir être détendu et vous le laisser en confiance. Et donc avoir envie de recommencer. » C'est important, de dire les choses.
K. A. : En fait, on se rend compte qu'on est à une période charnière d'affirmation de soi. Ça demande quand même d'être pas mal au clair avec ce qu'on veut, avec ce qu'on est, avec qui on est – pour soi, individuellement – et puis en couple. Pas toujours facile, j'ai l'impression. Je parlais tout à l'heure dans mon introduction de cette notion de parentalité « consciente » ou de parentalité « en conscience ». Qu'est-ce que ça vous évoque, à vous, cette notion de parentalité en conscience ?
A. C. : En fait, ce n'est pas toujours très simple à mettre en place, mais c'est finalement d'être capable, en tant que parent, de pouvoir se mettre dans une démarche d'observation, de pouvoir, a postériori, voir, analyser comment les choses se sont passées. Donc sur le moment, on n'y arrive pas, on est trop à chaud. Mais en tous les cas, dans l'après-coup, pouvoir reprendre les choses, entre parents, et de pouvoir se mettre dans une démarche de remise en question : « Qu'est-ce qui a marché ? Qu'est-ce qui n'a pas marché ? »
K. A. : C'est donc bien cette conscience de comment et de pourquoi on fait les choses qui permet de choisir son chemin de parentalité, de choisir la façon dont on souhaite soi-même être parent, d'inventer ce rôle ?
A. C. : Exactement. Très important.
K. A. : Alors cette conscience, Aurélie, on peut le dire aux parents, elle vient avec le temps. Il faut lui laisser le temps de s'affirmer. Il faut se laisser le temps de se forger des convictions. Et on a coutume de recommander aux parents, chez Bubble, de ne pas trop se mettre la pression. Choisissez vos combats. On ne peut pas mener toutes les batailles. Il vaut mieux choisir celles qu'on peut remporter.
A. C. : Alors ça, vous avez raison, c'est extrêmement important, c'est de prioriser les choses. Nous, on voit trop de parents en consultation – vous parliez du diktat de la Wonder Woman, mais des Wonder Parents, quoi ! C’est-à-dire que les parents se mettent des objectifs en termes de parentalité qui sont très, très élevés, et qu'on ne peut pas demander à un enfant de moins de 3 ans d'être propre, de bien dormir, d'être poli, d'être gentil… Vous voyez ? On ne peut pas avoir une to-do list qui est trop importante. Moi, je trouve que ce qui est important – ce que vous disiez aussi, qui est tout à fait juste – au début, on va se dire que nos priorités éducatives, les valeurs importantes pour nous, ça va être celles-là. Et puis, au fur et à mesure du temps, par exemple, il y a des parents qui sont anti-tétines, qui disent « Non, mais alors moi, jamais ! », quand ils voient des enfants dans la rue, « Non mais alors nous, jamais il aura de tétine ».
Et puis, c'est ces parents-là qui, au bout de quinze jours, peuvent aller faire toutes les pharmacies de garde la nuit pour aller chercher une tétine. Donc voilà, c'est bien de pas avoir trop de principes au départ, de s'adapter en fonction de votre enfant, de, finalement, en couple, comment ça se passe, de votre fatigue. C'est extrêmement important d'être à l'écoute de comment on se sent. Il y a trop de parents qui s’oublient un petit peu dans leur parentalité.
Et quand on est un parent épuisé, c'est beaucoup plus difficile d'être un parent bienveillant. Moi, j'aime bien donner l'exemple, quand on est dans l'avion, en cas de dépressurisation de la cabine, on dit toujours de mettre le masque sur soi en premier, et après sur ses enfants. Si vous ne respirez plus, vous ne pourrez pas bien vous occuper de vos enfants. Donc vraiment, on prend soin de soi pour être un parent en forme et bienveillant, ça, c'est très important. Et puis après, sur les choix et ce qui est important pour prioriser, je trouve que la façon de se poser la bonne question, c'est de se dire : « En ce moment, finalement, si j'avais une baguette magique et qu'il y a un truc qui pourrait mieux se passer, lequel ce serait ? » En général, c'est celui-là, le bon.
K. A. : Comment on apprend à faire confiance, à laisser d'autres humains, d'autres adultes, rentrer dans l'univers de son enfant, de ce tout-petit que l'on vient d'accueillir ? Et comment on se persuade que ces relations-là vont enrichir l'univers de notre enfant ?
A. C. : Les enfants vivent, se nourrissent, d'interactions avec les autres. Chaque personne qui va croiser le chemin, la vie de votre enfant, par ses particularités, par ses différences, par ses talents, va lui apprendre des choses. Il y a souvent des jeunes parents qui ont un petit peu peur, en se disant : « La nounou, ou mamie, va passer huit heures par jour avec lui quand, moi, je ne le vois qu'une heure et demie le soir. » Donc ils vont être dans la crainte de
« Finalement, il va la préférer à moi. Moi, il va m'oublier. »
K. A. : Est-ce que quand on dit qu'un enfant va s'attacher à un autre adulte, est-ce que ça veut dire qu'il va se détacher un petit peu de ses parents ?
A. C. : Non, ça ne se passe pas comme ça, heureusement ! Vous serez toujours la figure de référence et d'attachement principal à vos enfants. Et on ne peut que se réjouir si votre enfant a l'air d'adorer sa nourrice, même si parfois, quand vous arrivez le soir, votre enfant pleure quand vous arrivez, ce n'est pas parce qu'il vous aime moins et qu'il est triste de quitter sa nounou, c'est que vous êtes sa figure d'attachement et que donc, quand vous êtes là, il s'autorise à laisser aller ses émotions. Plutôt que de se dire qu'on peut être un petit peu jaloux ou un petit peu triste, au contraire, quelle chance vous avez d'avoir un bébé qui est tellement content d'aller s'éclater chez sa grand-mère, chez sa nounou. Et qu'il l'aime beaucoup, mais tant mieux ! Soyez serein plutôt qu’embêté. Et une fois de plus, ce n'est pas la quantité mais la qualité de temps que vous passez avec vos enfants. Si vous devez aller travailler, et que vous êtes content de retourner bosser, et que tous ces choix-là sont au clair et O.K. pour vous, profitez le week-end. Rattrapez-vous le week-end. Mais si effectivement, toute la journée, vous êtes dans un sentiment de jalousie, en vous disant que, finalement, ce n'est pas juste que quelqu'un d'autre passe autant de temps avec votre bébé plutôt que vous, ça revient un petit peu à ce qu'on se disait au départ : finalement, est-ce qu'on a fait les bons choix ? Est-ce qu’on s'est posé les bonnes questions au moment des décisions importantes de reprendre le travail ou pas. Et on peut toujours reposer les choses et se dire : « Bon, finalement, c'est pas gérable. Je suis trop mal. » Et si c'est possible, on fait ses calculs, on pose tout, un papier, crayon, et « Est-ce que je peux passer à 80 % ? ». Il n'y a rien qui est gravé dans le marbre et on peut toujours reposer les choses.
K. A. : Alors on dit un mot, quand même, du retour au travail en lui-même. C'est pas toujours simple d'avoir 100 % la tête à son métier quand on revient, on a forcément de nouvelles préoccupations, des nouvelles priorités. Comment on gère, ça ?
A. C. : C'est vrai que cette fameuse charge mentale est vraiment un vrai sujet en ce moment. Au début, c'est normal d'être un petit peu débordé, d'avoir l'impression de ne rien faire bien, parce que c'est un peu, souvent, ce que disent les jeunes parents : « Au boulot, ça ne va pas ce que je fais. À la maison, je fais n'importe quoi. J'ai fait le biberon trop froid, j'ai oublié la couche. » Ne soyez pas trop sévère avec vous-même. Quand on a un jeune bébé, on vivait à deux, il faut vivre à trois. Vous faites connaissance avec lui. Au début, on ne se connaît pas. Il y a vraiment tout un grand temps d'observation à faire avec ses enfants, parce que parfois, ils sont très différents et du bébé qu'on avait imaginé, et aussi de nos propres personnalités à nous. Il y a vraiment un temps d'ajustement pour tout. Et que les autres, aussi, avec qui vous travaillez, ceux qui avaient l'habitude de vous voir finir des dossiers, partir à pas d'heure le soir sans jamais regarder votre montre, eux aussi, vos collègues, vont devoir s'adapter au fait que maintenant, vous avez la responsabilité de parent et que vous avez des horaires à respecter. Donc ça, ça ne doit pas être source de discussion tous les jours, sinon, vous ne serez pas serein, ni au boulot, ni en rentrant à la maison.
K. A. : Alors il y a effectivement cette nouvelle responsabilité, et le fait d'avoir besoin d'un peu plus de temps, sans doute pour soi et sa famille. Et puis il y a aussi, Aurélie, il ne faut pas l'oublier, une grande fatigue des parents qui reprennent le travail. Parce qu'en fait, quand on reprend le travail avec un bébé de 2 mois et demi ou 3 mois, on ne dort pas forcément très bien. Alors ça m'inspire quand même une réflexion qu'une copine m'avait faite quand j'ai eu mon premier enfant. Parfois, on a la chance d'avoir la bonne copine qui vous fait cogiter. Moi, elle m'avait dit : « T'inquiète pas, c'est compliqué, c'est dur… mais ça passe. » Et effectivement, ça m'avait beaucoup aidée de me dire que les difficultés, elles sont là, elles sont vraies pour tout le monde, mais qu'elles passent. Alors bon, il y en aura d'autres derrière ! Mais un jour, votre bébé fera ses nuits et vous dormirez mieux, et ce sera plus facile au travail. Finalement, moi j'avais trouvé ça très rassurant de me dire que je pourrais me projeter aujourd'hui et demain sur la fin des difficultés. Les difficultés, elles passent !
A. C. : Elles passent, et surtout, chaque joie, un petit peu, la charge mentale importante, mais chaque âge ses joies, ses plaisirs. Et que même si parfois, on a l'impression qu'on est un petit peu sous l'eau, qu'on ne voit pas le bout, etc., il faut vraiment réussir à apprécier les moments qui se passent bien, qui sont agréables, et surtout, ne pas se mettre une to-do liste de choses à faire trop importante. On ne peut pas se demander quand on a un jeune bébé à la maison et qu'on reprend le boulot, de se dire que sa maison doit être aussi propre qu'avant. Tant pis, ce sera moins nickel et c'est pas grave, tant pis. Enfin, vous voyez, on ne peut pas avoir les mêmes exigences. On est doux avec soi-même, on ne se met pas trop d'objectifs, on fait au plus important. Et plus Bébé va grandir, plus vous allez pouvoir récupérer d'autres choses de votre vie d'avant. Mais vouloir avoir exactement la même vie qu'avant avec un bébé… D'abord, est-ce que c'est vraiment ça le but et le sens de ce qu'on recherche ? Pas forcément. Et qu'effectivement, tout ça va passer. Et d'ailleurs, c'est pour ça que les gens font deux, trois, quatre enfants, et que, donc, ce n'est que du bonheur !
K. A. : Merci Aurélie ! On termine cet épisode avec un petit récap’ de ce que l'on a appris : le retour au boulot, une période intéressante dans l'apprentissage de la parentalité, parce qu'on apprend qu'on est d'abord une team pour cet enfant. Donc on laisse un peu plus de place au papa, aux grands-parents, à la nounou. On apprend à faire confiance. On va découvrir aussi que son enfant a une super capacité à s'adapter. Il va vous bluffer, et vous allez voir que ça n'est que le début. On apprend également à s'écouter, à suivre ses intuitions, à faire connaître ses besoins et à imposer parfois certains de ses choix. Et puis on se laisse surprendre, à cette période, par cette incroyable résilience du corps humain. Parce que, oui, on peut travailler, et ce, malgré des nuits en pointillé. Enfin, on découvre aussi les joies de la charge mentale. Et ça, on ne va pas vous mentir, ce n'est pas fini ! Évidemment, on ne manquera pas d'en reparler dans un prochain épisode de L'Écho des berceaux. À très bientôt !