Volcaniques et souvent imprévisibles, les colères de nos enfants nous mettent à l’épreuve. Stéphanie Couturier, maman de 3 enfants et psychomotricienne nous explique comment faire face et surtout comment les éviter...
Écoutez l'article en version podcast !
Et abonnez-vous ici depuis votre smartphone pour découvrir les autres épisodes de Jambon Coquillettes.
LIENS
BUBBLEmag
Partager ce dossier
LIRE L'INTERVIEW
Stéphanie Couturier : Les enfants ont besoin que leurs envies soient entendues et comprises. Ils n'ont pas forcément besoin que ce soit assouvi, en réalité.
Anne-Laure Troublé : Bienvenue sur Jambon Coquillettes, un podcast BUBBLEmag. Volcaniques et souvent imprévisibles, les colères de nos enfants nous mettent à l'épreuve. Au mieux, elles révèlent en nous des trésors de patience ; au pire, une violence honteuse. Souvent, elles nous font osciller entre les deux. Dans ce quinzième épisode de Jambon Coquillettes, nous recevons Stéphanie Couturier, psychomotricienne et sophrologue, et auteure de nombreux livres pour enfants et adultes sur les émotions. Stéphanie nous explique comment faire face à la colère de nos enfants, et surtout, comment les prévenir. Maman de trois enfants de 1 mois à 17 ans, et belle-maman de deux autres enfants, ses conseils ne sont pas que pure théorie. Elle a eu en effet plus d'une occasion de les mettre en pratique.
Bonjour Stéphanie.
S. C. : Bonjour Anne-Laure.
A.-L. T. : Qu'est-ce que la colère ?
S. C. : La colère, c'est une émotion qui permet de s’exprimer, en fait, et de faire passer un message.
A.-L. T. : Ça veut dire qu’il y a forcément un message, et que ce n'est pas un caprice ?
S. C. : Il existe des caprices, mais il existe très peu de caprices à mes yeux. Ce qu'on peut qualifier de « caprice », ça va être une colère qui aboutit avec un manque de communication, au préalable. On ne s’est pas suffisamment expliqué avec l'enfant, et l'enfant va vivre une forme d'injustice, qui nous paraît complètement folle. Par exemple, c'est l'histoire du supermarché : on va au supermarché, et on remplit notre caddie. On passe devant des bonbons, on a envie de mettre des bonbons dans le caddie. C'est beau, c’est plein de couleurs, ça donne envie, on sait que c'est sucré et que c'est tellement bon. Et si on n'a pas eu une discussion au préalable avec son enfant sur ce qu'on va faire, au supermarché, et ce qui va se passer – en tout cas, le déroulement de ce que l'on aimerait – l’enfant peut ne pas comprendre. Parce que pour lui, c'est une injustice de ne pas pouvoir prendre ce qu'il aimerait, puisque nous, nous sommes en train de mettre ce que l’on aime, en tout cas ce dont on a besoin, dans le caddie. Il y a besoin, en fait, on a besoin d'une discussion au préalable, avec : « Voilà, on va aller au supermarché. On va voir, donc on va acheter, de quoi faire les repas à la maison, de la nourriture, ou des produits. » On lui explique et on dit à son enfant : « On va passer devant du chocolat, devant des bonbons, devant des jouets, mais ce n'est pas le moment pour ça. Des chocolats, on pourra en acheter à un autre moment, ou des jouets, c'est pour l'anniversaire. » Enfin, qu’importe, mais en tout cas, on explique à son enfant ce qu'il va voir pour le préparer aux émotions qui vont arriver pour lui.
A.-L. T. : Mais est-ce que tous les enfants sont raisonnables, comme ça ? Est-ce qu'il suffit d'expliquer pour que, au moment où on passe devant les bonbons, il n'y ait pas de pleurs, ou de demande, ou de colère ?
S. C. : Je pense que tous les enfants, vraiment tous les enfants, vont être très sensibles à la discussion et à ce qu'on… Comment dire ? Surtout aux émotions qu'on va lui… Presque lui apprendre, au préalable. C’est-à-dire que quand on explique à son enfant : « Tu vas en avoir envie, il y a presque de la joie qui va arriver, parce qu'on va voir tellement de choses. Ça crée de la joie en soi. C'est difficile parfois de se dire "il y a de la colère qui peut arriver, ou même de la tristesse quand on nous dit non". » Quand on explique ça à son enfant, vraiment, tous les enfants, derrière, quel que soit son enfant, quel que soit son tempérament, il va comprendre. Après, il y a des enfants plus filous que d'autres, j’ai envie de dire. Et évidemment, il y a des enfants qui vont quand même dire « Maman, regarde, j'en ai envie » ou « ça, ça serait super, juste un ». Voilà. Il va tenter de négocier. Mais on peut aussi très facilement lui proposer autre chose.
C'est-à-dire que les enfants ont besoin que leurs envies soient entendues et comprises. Ils n'ont pas forcément besoin que ce soit assouvi, en réalité. Nous, on pense que c'est ça, le caprice : l'enfant en a envie, il a besoin que ce soit assouvi. Et on est là, en tant qu'adulte, avec la frustration, en disant non. Et puis c'est normal de dire non, et ça aide nos enfants à grandir. Mais on peut aussi dire non en proposant autre chose pour montrer que cette envie, on ne la met pas sous le tapis, en fait, on ne fait pas comme si elle n'existait pas. On la prend en considération, on la regarde, et on lui dit « O.K., tu en as envie, c'est normal. C'est vrai, c'est beau, ça donne envie. Moi aussi, j’aimerais tellement, j'ai envie de ces paquets de gâteaux, mais ce n'est pas bien pour moi, c'est trop de sucre. En ce moment, je fais attention », ou autre. On explique en fonction de qui l'on est et puis de ce qui est important pour nous. Mais de dire, par exemple : « Ce jouet, tu en as très envie. Tu sais ce qu'on peut faire ? On va le prendre en photo, comme ça on se souviendra que c'est ce jouet dont tu avais envie, ou ce paquet de bonbons dont tu avais envie. Et quand on cherchera un cadeau ou quelque chose à acheter, on saura qu‘il faut regarder dans les photos pour pouvoir retrouver ton envie. » Et ça, généralement, mais vraiment, à chaque fois que je l'ai proposé à tous les enfants que j'ai pu rencontrer et aussi quand je l'ai proposé aux parents, ça a toujours fonctionné. C'est-à-dire proposer un plan B. Cette envie, elle existe. On l'écoute, on la prend en considération. Mais ça ne veut pas dire qu'on va assouvir cette envie, pour autant.
A.-L. T. : C'est vrai que je pense que souvent, on oublie de parler avec ses enfants. On est dans le rush, on est à cent à l’heure, on se dit « il faut faire les courses vite, vite, vite ». Et puis on oublie complètement, en fait, qu'on a un petit être avec qui on peut communiquer, et qui va entendre, et avec qui ça va faciliter vraiment les relations après.
S. C. : C'est en ça que c'est dur, en fait, je trouve, d'être parent : c'est que ça demande de la patience, et on n'a pas tous beaucoup de patience. Moi, je n'en ai pas énormément, par exemple ! Mais ça demande d'être patient et ça demande de consacrer du temps à son enfant. Et pas forcément… Et d'anticiper.
A.-L. T. : Mais alors la colère chez les tout-petits, chez les nouveau-nés, avant le langage, comment on apaise ? D'abord, qu'est-ce que ça signifie ? À partir de quel âge on peut se mettre en colère ? À quel âge ça vient ? Et comment on gère ?
S.C. : Je pense que la colère, elle arrive presque… J'ai envie de dire « tout de suite ». C'est de la frustration, c'est une réaction émotionnelle face à une frustration. Moi, je vois, mon bébé qui a 1 mois et demi, dès les premières semaines, quand finalement il n'a pas ce dont il a besoin… Et d'ailleurs, c'est toute la difficulté, finalement, d’accordage avec le parent : c'est que, en tant que parent, on est là et on ne comprend pas toujours ce dont a besoin notre enfant. Il y a des pleurs, il y a des cris. Donc ça arrive vraiment très, très petit. Et qu'est-ce qu'on fait ? Eh bien ça dépend un peu de l’âge de son enfant. C'est-à-dire que quand ils sont bébés, déjà, c'est difficile de savoir, comme je viens de le dire, ce qui se passe. Donc on essaie de rassurer son enfant et de le calmer avec nos bras, avec des gestes tout doux, et puis avec la parole. Et puis on essaie de comprendre ce dont a besoin l’enfant pour satisfaire, justement, ce besoin. Ou cette envie, mais à ces âges-là, ce sont des besoins. Et puis après, quand ils grandissent et qu'il n'y a pas forcément la parole, c'est pareil. Il n'y a pas la parole, mais il y a de la communication non verbale : l’enfant avec sa mimique ; et puis il va pouvoir pointer ; il va s'exprimer d'une autre façon et il va montrer, en fait, ce qui se passe pour lui. Ou s'il a envie d’attraper le jeu de son frère… Il y va de toute façon. Donc on comprend ce qui se passe.
A.-L. T. : Justement, ça, c'est très compliqué, la gestion des relations de fratrie et de « Touche pas à mon jouet, c'est mon jouet, et toi… ». Et de dire : « Non, c'est celui de ton frère, tu ne peux pas y toucher. » Enfin, ça, c'est source souvent de colère entre les enfants et c'est souvent un peu… « irrésolvable ».
S. C. : Oui. Ce qui apaise vraiment beaucoup, c'est toujours la même chose, c'est de citer, c'est de verbaliser ce que l’on comprend de la situation. Par exemple, voilà : deux frères qui se disputent parce qu'il y en a un qui a un jouet et l'autre veut lui attraper – non, c'est son jouet, il vient de l’avoir pour son anniversaire et il n’a pas envie de le partager. C'est de dire : « Tu te sens triste, tu en colère, il ne veut pas te prêter son jouet, je te comprends. C'est vraiment… Ça ne paraît pas sympa pour toi parce qu'il est tellement beau, tu en as tellement envie. » C'est vraiment de mettre des mots sur tout ça. L’enfant, quand il entend finalement ce qu'il ressent sans pouvoir mettre de mots, sans même comprendre ce qu'il ressent. Et quand on va verbaliser, quand on va mettre des mots sur tout ce qui se passe, très, très souvent, ça vient tout de suite apaiser l’enfant.
A.-L. T. : Comment ça s'explique ? Parce qu’on apprend, en fait, en lisant les livres, que le cerveau de l'enfant est immature, que son néocortex n'est pas connecté, que c'est les émotions qui priment, qu’il n’a pas la capacité à se raisonner. Et pourtant, mettre des mots le calme.
S. C. : Oui, parce que justement, on vient faire cette boucle, on vient faire cette connexion. Ce que l'enfant n'est pas capable de comprendre. C'est-à-dire que nous, quand on va ressentir une émotion, on va se dire au fond de nous « je ne la supporte pas », ou « ça met en colère », ou « je me sens jalouse », même si on ne le dit pas comme ça, mais on le ressent et on sait que c'est de la jalousie au fond de nous, même si on ne veut pas se l'avouer, on fait cette boucle intérieure. L'enfant n'a pas cette boucle. C'est juste : il ressent l'émotion de plein fouet et il réagit face à ce qu'il ressent. Et nous, avec la parole, on vient faire cette boucle. On vient lui dire : « Ce que tu perçois à l'intérieur de toi, ce que tu ressens, c'est de la colère. Ou alors, évidemment, on ne le dit pas avec ces mots-là, on dit juste : « Tu es en colère, c'est normal. » Il faut que ce soit très simple. Si on commence à faire des phrases compliquées, l'enfant n'écoute pas et on passe à côté. Mais si on reste très simple, on va à l'essentiel en disant « tu es en colère, c'est normal », et surtout qu'on lui montre que c'est légitime. C'est légitime d'être en colère ou de se sentir triste quand on a très envie de quelque chose et on nous dit non. Donc ce sont des émotions qui sont bien réelles et on doit faire avec. Donc c’est dire « oui, c'est normal de ressentir ça, c'est vrai qu'il… » Alors moi, j'aime bien… À chaque fois, je dis toujours « c'est vrai que » parce que… « C'est vrai, ce camion, il donne envie. Il est beau, tout en bois comme ça, c'est chouette. » Donc c'est vraiment de lui montrer qu'on a bien compris ce qui se passait, et pour autant sans dire à son frère « Maintenant tu lui donne ». Après, on se met à la place de son frère en disant : « Et toi, je te comprends aussi. C'est vrai que tu viens d'avoir ce beau camion en bois pour ton anniversaire. Tu n’as pas envie de le partager parce qu'il est à toi. C'était ton cadeau et ça t’embête, ton petit frère qui est là, à côté, qui veut te le prendre. »
A.-L. T. : C'est quoi, la solution, alors ?
S. C. : La solution, c'est déjà juste d'avoir mis des mots sur les deux. Très, très souvent, ça change tellement la situation qu'il y en a un des deux qui va changer d'avis. C'est-à-dire que c'est ou le petit qui va chercher autre chose, ou le grand qui va avoir envie de le proposer à son petit frère parce que le fait d'avoir mis ces mots, ça vient complètement calmer la situation. Quand ça ne calme pas la situation, c'est que souvent, ça a pris… C'est déjà monté très fort dans les tours. La colère s'est déjà vraiment installée, et le petit a déjà frappé le grand, ou quelque chose de cet ordre-là. Et donc il y a autre chose qui s'est un peu installé et qu'il faut réussir à faire redescendre. Et là, c'est plus… On peut y arriver plus facilement avec presque de l'humour, en disant… Ou alors juste en prenant vraiment la colère comme personne à part entière qui arrive, en disant « Mais cette colère, elle est venue vous embêter tous les deux ! Mais regardez-moi ça ! » Et jouer quelque chose autour de la colère en disant : « Tout ça pour ce beau camion ! C'est vrai qu'il est beau, ce camion ! »
A.-L. T. : Oui, c'est détourner l’attention.
S. C. : C'est détourner l'attention, et très souvent, ça vient un peu les déstabiliser. Et puis il y en a un qui va dire « Moi j'aime bien, parce que la porte, elle peut s'ouvrir. »
A.-L. T. : Ils oublient leur colère.
S. C. : Ils oublient leur colère, et ils viennent… Voilà.
A.-L. T. : Est-ce que pour les tout-petits – même pour les plus grands –, est-ce qu'il n’y a pas une colère qui doit s'exprimer, parce que les enfants sont nerveux, parce qu'il faut que ça sorte ?
S. C. : Oui, parfois, on ne peut pas les éviter de toute façon. Mais ce qu'il faut toujours tenter, c'est d'essayer de mettre des mots sur ce qui se passe. Pour montrer à son enfant qu'il est entendu. C'est une forme de respect, et surtout, pour lui, c'est beaucoup mieux au niveau de la construction de sa confiance en lui et de son estime de lui-même.
A.-L. T. : Mais si ça ne passe pas avec les mots, qu'est-ce qu'on fait ? Est-ce qu'on peut mettre un enfant dans sa chambre en lui disant : « Écoute, je comprends que tu sois en colère, que tu aies besoin de l’exprimer, mais par contre, ça dérange tout le monde. Donc tu peux te mettre dans ta chambre. Et puis quand ça ira mieux, tu viendras. »
S. C. : Bien sûr, c'est ce qu'il faut faire. Il faut dire, si la colère prend trop de place et on ne parvient pas, finalement, à apaiser son enfant, c'est de dire : « Tu as tout à fait le droit d'être en colère. Mais par contre, moi, j'ai besoin et j'ai aussi le droit de pouvoir être dans du calme. J'ai envie de rester dans un endroit calme. Donc la colère, si elle est là, il faut lui demander de s'exprimer dans ta chambre. Là, pour l'instant, on ne peut pas subir ça. Mais si tu veux, je viens avec toi, ou je t’accompagne. »
A.-L. T. : D'accord. Mais ce qui est intéressant, c'est que tu viens de dire « ta colère, si elle veut s'exprimer, c'est dans ta chambre », c'est-à-dire que tu ne ramènes pas l'enfant à sa colère.
S. C. : Oui.
A.-L. T. : Tu le distingues.
S. C. : Alors ça, c'est très, très important, ça fait vraiment partie de ce que je répète continuellement, c'est qu’il faut faire très attention à ne pas confondre l'émotion et l'enfant. On ne dit pas d’un enfant qu'il est colérique, ou qu'il est peureux. Ça, ce sont des étiquettes, mais qui en fait font très mal à l'enfant, et qui lui… Comment dire ? Qui ne lui donnent pas confiance en lui. C’est-à-dire qu’il grandit en se disant : « Moi, je suis colérique. » Je peux le dire, parce que j'ai entendu toute mon enfance que j'étais colérique. Et ma sœur a grandi en entendant qu'elle était timide. Mais moi, j'ai mis du temps à comprendre. En fait, au fond de moi, je luttais, un petit peu. J'ai grandi en me disant : « Non, je ne suis pas colérique. » Et puis, si, j'avais quand même pas mal de colère en moi. Mais je luttais un peu, alors que… Évidemment, j'ai beaucoup travaillé sur moi, donc c'est plus facile pour moi de dire ça aujourd'hui. Mais bon, aujourd'hui, j'ai compris que j'étais hypersensible, que mes émotions, ce n'était pas que de la colère.
Parce que moi, j'étais très tiraillée. J'étais déçue parce que je trouvais que les gens – enfin, « les gens »… Je parle surtout de ma famille ! – ne voyaient pas forcément que j'étais très gentille aussi. J'étais plus gentille que, par exemple, ma sœur, qui était calme. Et le côté colérique était… C'est presque associé à « pas gentille ». Et « on est calme, on est gentille ». Il y a quelque chose de cet ordre-là. Or ça n'a rien à voir. On est traversé par des émotions. Quand c'est une colère qui passe, elle est grande, elle est forte. Quand c'est de la joie qui passe, elle est aussi intense. Quand c'est de la tristesse, on la sent bien passer. C'est toujours la même chose. Et après, quand on est plus dans la retenue dans l'expression de ses émotions, bon ben oui, quand la colère passe, parfois, elle peut même être intériorisée, et alors ça va donner de l'eczéma, sur la peau. Ou des maux de ventre. Ma sœur, qui manifestait peu d'émotions alors qu'elle est aussi hypersensible, mais elle a une autre façon de l'exprimer, elle a eu… Typiquement, elle a été opérée de l'appendicite alors qu'elle n'avait pas l’appendicite. Après l'opération, on lui a dit que ce n'était pas l'appendicite.
A.-L. T. : Elle avait somatisé.
S. C. : Elle avait somatisé, elle avait très, très mal au ventre. Et c'est comme ça que souvent, ça se passe. C'est-à-dire que soit c'est exprimé, extériorisé, soit, c'est intériorisé et ça va s’exprimer différemment. Parce que l'émotion est là.
A.-L. T. : Mais ça veut dire… Parfois, on peut aussi avoir… On le voit, dans les fratries ou dans les copains, qu’on a des enfants plus colériques que d'autres. C'est-à-dire que ce sont des enfants qui ressentent les émotions plus fortement ?
S. C. : Très souvent, ce sont des enfants qui soit sont hypersensibles, ou en tout cas sont plus sensibles, et vont ressentir des émotions de façon plus intense. Et puis ça va aussi avec… Ce n'est pas que dans l'expression des émotions, ça va être aussi dans le tempérament de l'enfant. Si l'enfant va justement plus extérioriser les choses ou pas.
A.-L. T. : Il n'y a pas que… Je veux dire, les enfants naissent avec leur personnalité.
S. C. : Oui !
A.-L. T. : À la naissance.
S. C. : Ça, c'est sûr !
A.-L. T. : Il faut aussi faire avec.
S. C. : Oui.
A.-L. T. : Comment on fait quand les colères nous mettent nous-mêmes en colère et qu'on n'arrive pas du tout à avoir cette attitude calme, posée ? Ce n'est pas toujours simple. Nous aussi, on a nos émotions, qu'on ne gère pas toujours. Qu'est-ce qu'on fait, dans ces cas-là ?
S. C. : Alors ça, c'est vraiment un grand sujet, je trouve. Ça me fait juste penser à quelque chose… Un jour, j’ai une de mes patientes qui m'a expliqué qu'une grosse colère l'avait mangée dès le réveil, et qu'elle était tellement grosse qu'elle avait mangé son père et sa mère au passage. C'était génial ! Je l'ai écrit dans un de mes livres. Je trouvais ça tellement super de pouvoir exprimer ça de cette façon-là ! C'était tellement juste et intelligent de la part de cette petite fille de me l'expliquer, en fait, si simplement ! C'était très lourd, en fait, pour elle. C'est une petite fille, en effet, qui était traversée par des colères très fortes, et je l'ai suivie très longtemps, encore jusqu'à l'année dernière. Parce que ça, c'était il y a des années. Et alors pour revenir à la question… Quand ça nous met nous-mêmes en colère, c'est souvent que ça nous cueille en pleine fatigue. Il faut toujours chercher…
A.-L. T. : On n’a pas le courage, on n’a pas la patience, ce n'est pas le moment.
S. C. : Exactement. On n'a plus les ressources pour se dire « bon », essayer de se mettre à la place de son enfant, mais il faut toujours essayer de se dire : « O.K., même très fatiguée, il faut chercher à se mettre à la place de son enfant » et tenter de comprendre qu'il ne peut pas gérer l’émotion, en fait, qui arrive.
A.-L. T. : Mais est-ce qu’il ne faut pas, aussi, déculpabiliser ? Se dire : « Il y aura des moments où je vais gérer, et puis il y aura des moments où je ne vais pas gérer. »
S. C. : Bien sûr.
A.-L. T. : Ce n’est pas non plus dramatique, et ça ne va pas traumatiser mon enfant.
S. C. : Non, ce n’est pas dramatique. Ce qui est dramatique, c'est d'en venir aux mains. Ce qui est dramatique, c'est la violence, qu'elle soit verbale ou physique. Ça, ça reste quand même dramatique. Et il faut vraiment tout faire pour que ça n'arrive pas. Alors je dis ça, j'ai déjà donné des fessées à mes enfants, honte à moi.
A.-L. T. : Rassure-nous !
S. C. : Parce que j'ai complètement pété les plombs, je n'y arrivais plus. Jusqu'à ce que mon fils, un jour, me dise… Ce n’est pas que ça arrivait souvent, mais un jour, mon fils m'a dit – il avait dû l’entendre je ne sais pas où ! –, mais que je n'avais pas le droit. D'ailleurs, c'était peut-être moi, qui avais dit, en fait, tout simplement, mais moi j'ai entendu le « pas le droit »… Voilà, c'était ça. J'avais entendu le « pas le droit » différemment, dans « pas le droit » dans la loi. Mais j'avais bien expliqué qu'on n'avait pas le droit de frapper. On n'avait pas le droit de dire des mots qui faisaient du mal et on n'avait pas le droit de frapper.
Et donc quand je lui ai donné une fessée parce que je n'en pouvais plus, il m'a dit que je n'avais pas le droit. Mais moi, je l'ai entendu comme « pas le droit », la loi, tu es adulte, et tu n'as pas le droit. Ça m'a glacée, et à partir de là, je me suis dit « c'est vrai, je n'ai pas le droit, en fait ». Et non seulement je n'ai pas le droit, je suis professionnelle de la petite enfance… Ça arrivait rarement, mais c'était déjà arrivé. Et je me suis dit « non mais en fait, ça, plus jamais ». C'est-à-dire que même si je suis fatiguée, même si je n'en peux plus, je change de pièce. Je vais me calmer. Je lui ai dit : « Je n'en peux plus. J'ai une colère énorme en moi. » Ce que j'ai fait après, par la suite, et d'ailleurs, c'est devenu presque un jeu, je lui disais : « Ah là là, mais j'ai envie de… » Et je lui disais : « Non mais là, ta colère me met tellement en colère, je suis tellement en colère… J'ai envie de tout jeter dans la salle, j'ai envie de renverser le canapé ! » En fait, je ne lui disais pas quelque chose où je le mettais…
A.-L. T. : Pas « J’ai envie de te frapper » !
S. C. : Voilà, je ne lui disais pas que j'avais envie de le frapper, mais je lui disais que c'était énorme en moi, c'était l'explosion, et je l'imageais comme ça. Et je lui disais : « Je vais mettre dans ma chambre, parce que là j'ai besoin de souffler un petit peu. Là, je suis très en colère, j'ai plus envie de te voir pour l'instant. » Et ça, ça a tout changé parce que ça lui a permis de voir que moi je réagissais comme ça ; et aussi lui donner cet espace. C’est-à-dire qu’avant, quand je lui proposais d'aller dans sa chambre, ça ne fonctionnait pas. Je pouvais l'accompagner dans sa chambre, et comme pas mal d'enfants, il tambourinait à la porte, ou alors, il hurlait, il me suivait dans le couloir. Ça ne fonctionnait pas. Parce qu'il avait envie que sa colère soit collée à moi. C'est-à-dire que…Il avait envie de la diriger. Ce n'était pas juste « fallait la faire sortir ». Et c'est ça, le truc, c'est de réussir à dire à son enfant : « Cette colère, O.K., elle est là, je la comprends. » Ou parfois, on peut même dire : « Je ne la comprends pas. Je sais qu'il se passe quelque chose pour toi. » C'est là où on peut parler de caprice, aussi, parfois. Mais c'est dire « je ne sais pas ce qui se passe, je ne la comprends pas » quand c'est le cas. « Mais tu as le droit d'être en colère, et tu as le droit de l'exprimer. Par contre… Donc là, pour l'instant, tu as envie de la diriger contre moi parce que tu ne sais pas quoi en faire, mais il faut la diriger ailleurs, parce que je suis » – par exemple – « je suis très fatiguée, j'ai vraiment besoin d'être au calme. Donc peut-être que tu peux la diriger sur ton coussin dans ta chambre. » Voilà. « Mais tu as le droit. Mais moi, j'ai aussi le droit d'être tranquille. » Et dans ce cas, c'est soit on s'enferme dans sa chambre, soit on le met dans sa chambre, mais quelque part, on marque bien les espaces.
A.-L. T. : Il y a aussi, moi je trouve, avec mes enfants, c'est que… Je garde mon calme, je garde mon calme. Et puis à un moment, ils continuent et ils me cherchent, ils me cherchent. Et là, je crie et… ils se calment !
S. C. : Oui.
A.-L. T. : Comme s‘ils attendaient ce moment où vraiment j'allais m'énerver et où ça allait faire retomber la pression. Et que tant que je ne m'énerve pas, ils vont me chercher.
S. C. : Alors ça, c'est vraiment fréquent. Parce qu'ils ont besoin de voir la colère ailleurs que dans le ressenti. C'est-à-dire qu‘ils ressentent quelque chose qui est insupportable pour eux. Et c'est comme s'ils passaient le flambeau, c'est-à-dire qu'ils ont besoin que ça sorte, mais si ça sort juste comme ça, et quelque part, il n'y a pas de conséquence, c'est comme si la colère n'était pas entendue. Alors que quand le parent se met en colère, il y a vraiment pas mal de situations… Ce n’est pas systématique, mais il y a pas mal de situations où, en effet, l’enfant fait « Ah ! C'est ça, en fait, que je ressens ». Inconsciemment, c'est ça. Et donc c’est bon !
A.-L. T. : Donc ça veut dire qu’en fait, c'est la seule solution ?
S. C. : Non…
A.-L. T. : De se mettre en colère pour que ça s’arrête.
S. C. : Alors on peut dire : « Là, je sens que tu as beaucoup de colère. Tu as besoin que je sois en colère ? Est-ce que tu as besoin que je me mette en colère ? » Et là, on peut aussi le détourner en disant : « Qu'est-ce que ça fait, une maman en colère ? » Si on a une feuille sous la main, on peut se dire : « Viens, on va dessiner une maman très en colère ! » Et puis on lui fait des cheveux dans tous les sens… Ce qui fonctionne bien la plupart du temps avec les enfants, c'est vraiment de détourner le sujet. Mais non ne détourne pas son attention sans avoir verbalisé et lui avoir montré qu'on a compris ce qui se passait.
A.-L. T. : Ce que tu disais tout à l'heure.
S. C. : Voilà. Et après…
A.-L. T. : Mais ça, ça ne marche pas toujours chez les ados.
S. C. : Non, chez les ados, non.
A.-L. T. : Je pense qu’il y a deux choses qu’on distingue : il y a les enfants, les petits enfants ; et puis les adolescents.
S. C. : Les ados, c'est autre chose.
A.-L. T. : Toi, tu as deux adolescents.
S. C. : Nous, il y a cinq enfants à la maison. Et on a, on va dire, deux « vrais » ados. Et puis deux préados, qui commencent quand même à rentrer un petit peu… Parce que mon fils Orphée est en sixième ; ma belle-fille Paula est en quatrième. Et puis après, nos deux grands sont en première.
A.-L. T. : Ah oui !
S. C. : Voilà. Et après, on a un petit bébé qui vient d'arriver.
A.-L. T. : Tu as tous les âges !
S. C. : Donc j’ai tous les âges.
A.-L. T. : Comment tu gères la colère des ados ? C'est autre chose…
S. C. : C’est un grand travail d'équilibriste. Je trouve, de toute façon, l'éducation, que ce soit avec les plus petits… Mais je trouve ça évidemment plus facile avec des plus petits qu'avec des ados, parce qu‘il faut réussir à trouver l'équilibre entre leur faire passer le message et leur faire confiance. Et quand on fait passer le message, c'est toujours assez péremptoire. « Tu dois faire ça, sinon tu vas te planter. » Et puis après : « Je te l'avais dit. » Enfin, tout ça, ça ne fonctionne pas, en fait. Il faut qu'on leur fasse confiance, parce que, en réalité…
A.-L. T. : Imposer ne marche pas.
S. C. : Ça ne fonctionne pas, et puis ils ont besoin d'apprendre par eux-mêmes. Et s'ils doivent passer par des échecs, eh bien c'est leur histoire, en fait.
A.-L. T. : Tu poses quand même des interdits, des non, des « ça, c'est la règle et tu le respectes » ?
S. C. : Oui. Il y a des règles qui ne bougent pas. Le téléphone, chez nous, pour les deux grands, doit être dans l'entrée à 22 heures. Et il n'y a plus de téléphone dans les chambres à 22 heures, c'est dans l'entrée. Et très longtemps, je les prenais, je les mettais dans ma chambre, d'ailleurs. Et ça, il n'y a pas de problème. Après, ils ont des « corvées », entre guillemets, à la maison. Chaque jour, il y a quelqu'un qui doit mettre la table et débarrasser. Tout ça, c'est assez réglementé. Mais ça se passe bien.
A.-L. T. : Parce que je discutais, c’était intéressant, avec une responsable de crèche qui était assez vindicative sur la parentalité positive en disant qu‘on avait mis les parents au même niveau que les enfants – enfin, les enfants, surtout, au même niveau que les parents – et que du coup, il n’y avait plus de hiérarchie, il n’y avait plus de règles imposées. Ou de faire comprendre à l'enfant que c'est un enfant, que ce n'est pas encore un adulte et que les adultes ont le droit de décider des choses.
S. C. : Oui. Alors moi, c'est pareil. C’est-à-dire que la parentalité positive, je ne peux pas dire… J'ai mon bébé qui se réveille.
A.-L. T. : C’est mignon !
S. C. : Je vais le prendre avec moi. La parentalité positive, je comprends tout à fait cette directrice de crèche parce que c'est très souvent utilisé pas comme on l'aimerait. En réalité, la parentalité positive, ça ne veut pas dire qu'on laisse toute la possibilité aux enfants ou aux ados et qu'on va se mettre au même niveau. La parentalité positive, c'est beaucoup de communication. Ce sont aussi beaucoup de règles, qui sont établies et qui doivent être respectées. C'est juste que ces règles, on les explique réellement aux enfants. C'est surtout, pour moi, un regard qui est nouveau et une communication qui est bien meilleure. Mais ça n'empêche pas le cadre et les règles, et surtout le respect, en fait.
A.-L. T. : Je pense que c'est important. Moi, je sais que j'ai totalement raté cette partie-là, c'est-à-dire que je mettais des règles que je ne respectais pas. Et donc j'ai un ado qui est un excellent négociateur, qui négocie sur tout en permanence. Et ce travers-là, je le vois beaucoup chez les adolescents, cette faculté qu'ils ont de négocier, de ne pas lâcher. Est-ce que c'est justement parce qu'on leur a appris à communiquer et à entrer en relation et à exprimer leurs besoins ? Est-ce que ce n'est pas un travers ?
S. C. : Moi, je trouve ça génial. En effet, je trouve qu'il y a beaucoup d'adolescents qui négocient, mais ça, c'est presque le propre de l'adolescence. Mais moi, je trouve ça assez chouette, en fait.
A.-L. T. : C'est épuisant !
S. C. : C’est épuisant, mais j'ai aussi mon grand, qui a 17 ans, qui négocie, mais très, très bien, au point où très souvent, je ne sais plus pourquoi j'ai dit non au début. C'est-à-dire que ses arguments sont tellement pertinents et justes que je ne sais plus pourquoi j'ai dit non. Et là-dessus, je peux revenir en disant : « C'est vrai. Je suis O.K., je suis d'accord avec ce que tu dis. » Par contre, souvent, j'essaie de revenir à ce qui était important pour moi, et puis par rapport aux règles. Donc on va négocier, et ça va être un entre-deux. Mais, derrière, je n'ai pas… Souvent, très souvent, après ça, je n'ai pas l'impression que c'est… Comment dire ? Que ça n'a pas fonctionné ou que c'est un échec. Au contraire, je suis assez fière de lui. Je me dis : « Mais c'est génial ! S’il réussit à faire ça dans la vie ou au travail, après, c'est super !
A.-L. T. : C'est vrai aussi que je me le dis aussi de temps en temps. Et c'est vrai aussi que quand j'argumente moi aussi bien, avec des choses légitimes, je vois qu’il l'accepte.
S. C. : Oui, c'est ça. Moi, Stanislas, c'est exactement ça. C’est-à-dire que quand je lui explique correctement les choses… D'ailleurs, il me dit : « Bon, ben voilà, si tu m'expliques correctement… Il suffit de m'expliquer, c'est bon. »
Du coup, ça passe.
Mais parfois, il a des arguments qui tiennent très, très bien la route aussi. Et c'est à nous de les entendre, en fait.
A.-L. T. : Alors, ça fait combien de temps qu'on… Oui, ça fait déjà 37 minutes, qu'on papote. Donc je vais poser la dernière question traditionnelle de Jambon Coquillettes. C’est : « Quelle est votre recette S.O.S. quand vous n'avez pas le temps de cuisiner ? »
S. C. : Alors nous, c'est toujours la même recette S.O.S. C'est riz, poulet, brocolis.
C'est systématique !
A.-L. T. : « Riz, poulet, brocoli » ?
S. C. : Voilà.
A.-L. T. : Ils mangent les brocolis !
S. C. : Oui. Les brocolis, chez nous, c'est un peu notre spécialité. D'ailleurs, le petit dinosaure qui fait plein de bruit, là, dans mes bras, en a même deux doudous.
A.-L. T. : Brocolis ?
S. C. : Deux doudous brocolis, oui. C'est un peu ce qui caractérise notre famille. Ça fait rire tout le monde. Parce qu'on les fait revenir, en fait, et on les laisse bien croquants. Donc ils sont presque crus, ils sont juste chauds et bien croquants.
A.-L. T. : D’accord. Donc tu les coupes en morceaux, tu les mets à la poêle ? …
S. C. : Voilà. Et on les fait revenir, et donc c'est très, très bon.
A.-L. T. : Mille mercis, Stéphanie, c'était vraiment très chouette. Et puis c'est mignon, d'entendre… C'est Lars, c'est ça ?
S. C. : C'est Lars, oui, qui est dans mes bras et, ça y est, qui est réveillé.
A.-L. T. : C’est mignon, de l’entendre. Je te laisse avec ton petit garçon, et merci beaucoup. Merci beaucoup pour cette interview.
S. C.: Merci Anne-Laure.
A.-L. T. : C’était très riche, très intéressant.
Au revoir.
S. C. : Au revoir !
A.-L. T. : Merci à vous pour votre écoute. Vous retrouverez dans les notes de cet épisode un lien vers le site de Stéphanie Couturier ainsi que les références de ses livres sur les émotions. Si vous avez aimé ce podcast, accordez-lui deux petites minutes pour lui attribuer quelques étoiles et rédiger un commentaire avant de le partager avec votre entourage. À bientôt.